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ainsi par un virtuose de mérite, M. Membré a vu se lever devant lui bien des obstacles, et a pu pénétrer jusqu’au grand sanctuaire de l’Opéra, dont les portes ne devraient s’ouvrir qu’à des compositeurs éprouvés. On assure même que M. Membré nourrissait l’espoir de débuter sur ce grand théâtre par un ouvrage en cinq actes qu’il a composé dans la solitude, et dont il a fait entendre dans les salons les morceaux importans. Pourquoi M. Membré n’a-t-il pas tenu ferme à ses prétentions un peu ambitieuses ? Puisqu’il était décidé à jouer le tout pour le tout, il eût mieux valu se présenter avec un ouvrage en cinq actes et tomber avec fracas que de venir se brûler les ailes au grand lustre de l’Opéra en bourdonnant quelques chansonnettes. M. Membré aurait mieux agi encore en refusant une faveur aussi dangereuse et en allant s’essayer la main sur une scène moins importante. M. Membré est le troisième ou quatrième exemple de la fragilité des réputations d’atelier et de l’impuissance des coteries pour constituer une réputation durable. Que j’en ai vu mourir de jeunes compositeurs… que les applaudissemens préventifs des amis ont étouffés avant l’heure de la moisson ! Cependant il serait injuste de méconnaître le talent réel de M. Membré et quelques morceaux bien venus qu’on trouve dans François Villon. Nous avons remarqué ce passage de l’air que chante le poète amoureux :

Un bracelet, c’est tout. Pourtant, pauvre rêveur,
Je l’ai conservé là, ce mystérieux gage ;


celui de la bohémienne Aïka :

Des chagrins… elle en eut, ma mère,


et plusieurs autres chœurs pleins d’allégresse. Ce n’est donc pas une certaine habileté ni d’heureuses inspirations qui manquent à M. Membré, mais un peu de variété dans les idées et l’habitude de s’entendre. M. Obin fait assez bien valoir le personnage du poète gaulois, dont il est chargé.

Le théâtre de l’Opéra-Comique, n’étant pas très heureux avec les compositeurs vivans, est obligé de s’adresser à ceux qui sont morts et enterrés depuis longtemps. Aussi a-t-on repris, il y a quelques jours, un opéra de bonne humeur, Joconde, que le public a revu avec d’autant plus de plaisir qu’on ne le gâte pas souvent par de telles friandises musicales. Joconde est l’heureux fruit d’un hymen fécond entre Étienne, de spirituelle mémoire, et Nicole, compositeur aimable et facile. Né à l’île de Malte en 1775, Isouard, qui s’est fait connaître sous le nom de Nicolo, eut à surmonter beaucoup d’obstacles avant de pouvoir entrer dans la carrière où il s’est illustré. Il vint à Paris au commencement de ce siècle, après avoir longtemps habité l’Italie, et particulièrement la ville de Naples, où il connut le vieux Guglielmi, qui lui donna des conseils, ainsi que d’autres maîtres de l’école napolitaine, alors défaillante. Nicolo se produisit sur le théâtre de l’Opéra-Comique par un petit ouvrage, le Tonnelier, qui n’eut aucun succès ; puis il écrivit successivement Michel-Ange, le Médecin turc, l’Intrigue aux fenêtres, et vingt opéras faciles, parmi lesquels nous citerons les Rendez-vous bourgeois, joyeuseté carnavalesque qui n’a pas quitté le répertoire, Cendrillon, Jeannot et Colin, Joconde, et la Lampe merveilleuse au Grand-Opéra. Nicolo est mort à Paris le 23 mars 1818. Joconde est de l’année 1814. Martin y chantait le rôle