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ver. « Je peins les belles femmes tout simplement parce qu’elles sont belles, » disait un Vénitien de la vieille roche ; il se peut qu’en peinture cette philosophie soit la bonne. Tout ce que je sais, c’est qu’en musique ce n’était point celle de Gluck, ni de Mozart non plus, ni de Beethoven. Aussi cette indifférence où l’on vit aujourd’hui en matière d’érudition musicale m’afflige et m’épouvante. Mendelssohn, cet esprit doux et fort, honnête et puissant à la fois, dont la France n’a pas encore mesuré toute l’élévation, Mendelssohn ne s’y est pas trompé, et quiconque saura lire dans son œuvre y verra l’influence des conquêtes de l’érudition moderne. Aujourd’hui les musiciens de profession ont bien d’autres choses en tête : il leur faut satisfaire à d’incessantes commandes, flatter le mauvais goût de la cantatrice régnante, être les complaisans du public et des directeurs de spectacles. Parlez-leur de travaux, de découvertes intéressant l’histoire de l’art qui les occupe, ils les ignorent; insistez, ils les liront peut-être, mais sans conscience, sans profit, et pour revenir imperturbablement au train-train routinier, à ce rococo d’hier et d’avant-hier, plus vermoulu que toutes les vieilleries du temps passé. D’ailleurs, pour ces esprits mondains, uniquement absorbés dans les combinaisons les plus frivoles, un savant n’est jamais qu’un dilettante, un homme à côté de la question et qui trouve son plaisir à fouiller des textes oiseux, car l’important est de faire beaucoup d’opéras, et non point de connaître l’histoire de la musique, de savoir d’où l’on vient, où l’on va, et de quel mouvement d’idées procède tel ou tel système.

Quelle différence entre le calme, la solitude, le délaissement auxquels nous assistons de nos jours, et l’agitation que menaient autour d’eux ces reîtres littéraires du XVIIIe siècle, ces incorrigibles batailleurs toujours prêts à mettre flamberge au vent pour une discussion de doubles croches ! Ceux-là savaient du moins faire respecter leurs théories, et n’y allaient pas de main morte. Ils étaient factieux, pédantesques, bretteurs, ils avaient la perruque près du tricorne; mais en dépit de ces mines grotesques et peut-être à cause de tout cet appareil, ils passionnaient la foule à des questions auxquelles de nos jours restent insensibles les gens les plus faits pour s’y intéresser. Aussi nous a-t-il paru curieux de les montrer dans le mouvement, l’effervescence et le vacarme de l’action, se démenant la perruque en tête et l’épée au côté, et, tantôt de la plume, tantôt de leurs discours forains, aidant à la vigoureuse impulsion d’une époque où Gluck, Haydn et Mozart allaient naître. Rions de ces propagandistes boursouflés, de ces zélateurs matamores, dont l’immense savoir égalait l’impertinence; mais n’en rions pas trop, car si l’épaisse et crasse suffisance, si le charlatanisme survivent encore, nous avons malheureusement vu disparaître l’esprit militant d’érudition et de prosélytisme, et l’absence de ce puissant auxiliaire pourra bien être cause que l’histoire un jour reprochera aux musiciens de notre âge d’avoir sottement laissé à l’écart tant de matériaux dont la poésie et les arts du dessin ont su précieusement profiter pour retremper leur forme et se régénérer.


H. BLAZE DE BURY.


V. DE MARS.