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l’ancien ordre est enfin rétabli. Ils se trompent; la révolution n’est pas finie; seulement elle était ivre, et son ivresse est dissipée; elle a repris possession d’elle-même, elle a recouvré l’usage de ses sens. Voyez-la, avec son regard ferme et tranquille, continuer sa route inévitable à travers notre histoire. Inutile effort que de vouloir lui faire rebrousser chemin pour ramener le vieux système avec ses formes légales! Ce qui a vieilli ne rajeunit pas; ce qui est précisément contraire à l’esprit nouveau ne se rétablit pas. Nous en avons de nos jours même un grand, un solennel exemple. Nous l’avons vu tomber, le héros des temps modernes, héritier de toutes les forces de la révolution, mais qui les avait fait servir au gigantesque édifice de sa propre grandeur. Pourquoi est-il tombé? Par quelques fautes de détail? Non. Par la supériorité de ses ennemis? Encore moins. Il est tombé parce qu’il a méprisé l’essor naturel de l’humanité, parce que le despotisme est le seul uniforme que ces âmes hautaines viennent toutes finalement revêtir; il est tombé parce qu’il a lutté contre l’esprit du temps nouveau, qui a été plus fort que lui. Les petits esprits insultent au puissant dans sa chute; mais ce qu’il n’a pu faire avec sa force de géant, les autres en vérité le pourront bien moins encore!... »


Voilà en quels termes Tegner, évêque et professeur en même temps que prêtre, parlait il y a quarante ans à la jeunesse suédoise dans une harangue universitaire. Nous n’étions pas les seuls, à ce qu’il paraît, à nous bercer de ce qu’on appelait les idées libérales : elles étaient mêlées à l’esprit public dans l’Europe tout entière; chaque peuple, dans son essor national et spontané, les avait rencontrées comme d’inévitables et sûrs pressentimens de l’avenir. Et en effet comment la Suède, le Danemark et la Norvège eussent-ils échappé à cette direction générale des esprits? Aussi bien que les peuples du continent, ces pays avaient été effrayés des excès de la révolution française et avaient ressenti ce premier ébranlement de l’Europe; bien plus, dans quelles complications pleines de péril et d’anxiété les péripéties de l’époque impériale ne les avaient-elles pas entraînés! Allié fidèle de l’empereur jusque dans son adversité, le Danemark avait été mutilé. La Suède, dépouillée par les Russes, ébranlée à l’intérieur par une révolution qui, si elle renversait l’absolutisme, devait placer un étranger sur les marches du trône, — la Suède avait failli périr. Dans sa renaissance inespérée, comment le sentiment de la nationalité tout à l’heure si menacée, comment le désir impérieux d’institutions libres n’eussent-ils pas trouvé une expression constante? Comment les poètes, s’ils voulaient entraîner les esprits et toucher les cœurs, n’eussent-ils pas été avant tout des amis ardens de la liberté, des libéraux, comme on eût dit en France, et en même temps des ennemis des Russes? Le désir de venger les insultes faites au dehors au nom suédois ne les avait pas moins inspirés que celui de conquérir un gouvernement libre. Il est aussi