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més du Herald en citant le journal auquel ils faisaient cet emprunt. Quand ils ont eu des jugemens à porter sur ce qui se passait aux États-Unis, c’est dans le Herald qu’ils ont puisé leurs renseignemens, ce sont ses opinions qu’ils ont adoptées ou combattues. Comme il n’y a guère que les journaux de Liverpool qui s’imposent la dépense de faire venir des journaux américains, le Herald s’est trouvé la seule feuille des États-Unis dont le nom se rencontrât jamais dans les feuilles européennes. Or tous les articles où il était question du Herald, qu’ils fussent laudatifs ou désapprobateurs, ont toujours été soigneusement reproduits dans les éditions américaines du journal, afin de constater qu’il est lu et discuté au-delà de l’Atlantique, et de diminuer, par le prestige de cette notoriété européenne, le discrédit dont il est frappé aux États-Unis. Le Herald en effet, malgré son incontestable succès, n’a point d’autorité, et, tout en faisant la part de l’inimitié et de l’envie dans un pays de concurrence acharnée, il faut bien dire que l’opinion générale ne lui est point favorable. Il doit cette sévérité ou cette injustice aux nombreuses excentricités qui ont signalé les premiers temps de son existence, excentricités qui ont contribué à son succès en éveillant la curiosité et en attirant de vive force l’attention, mais qui dépassaient souvent les bornes des convenances et du respect qu’on doit au public. En outre, le caractère agressif du fondateur du Herald, M. James Gordon Bennett, lui a valu de nombreuses et désagréables querelles, dont l’éclat fâcheux a rejailli défavorablement sur le journal[1]. Néanmoins on doit reconnaître que le Herald a rendu de grands services à la presse américaine ; il l’a tirée violemment de sa torpeur et de sa somnolence, et c’est à lui qu’elle doit une bonne partie des progrès qu’elle a faits depuis vingt ans. M. Bennett, quelle que soit sa valeur morale, sur laquelle nous n’avons pas à nous prononcer, est incontestablement un homme d’esprit et d’initiative aussi bien qu’un journaliste habile. Ce n’est point seulement à force d’audace et d’excentricité qu’il a conquis des milliers de lecteurs et un succès croissant, ç’a été surtout en déployant une infatigable activité et en accomplissant des tours de force analogues à ceux de certains publicistes anglais. Il a su hardiment et à propos jeter l’argent par les fenêtres pour avoir la primeur des nouvelles importantes, pour donner en entier des documens dont les autres journaux n’avaient que de maigres analyses ; c’est lui qui a imaginé d’envoyer des bateaux à vapeur au-devant des paquebots européens, obligés d’aller toucher à Halifax avant de venir à New-York ; c’est lui qui a fait du télégraphe électrique

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er  juin 1856, l’article intitulé Mœurs et Caractère du Journalisme américain.