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plus se reproduire. L’histoire n’est donc pas condamnée à des chances d’erreur plus nombreuses que l’étude des lois qui régissent le monde extérieur. On se trompe sur l’origine d’une guerre, sur la portée d’une négociation; faut-il nous en étonner, nous en affliger? Ne s’est-on jamais trompé sur l’origine de la foudre, sur les affinités qui président à la composition des corps? Les découvertes de Franklin et de Lavoisier sont-elles donc si vieilles? La physique et la chimie, cultivées aujourd’hui avec tant d’ardeur, ont-elles débuté par la certitude, et sommes-nous assurés que les théories acceptées maintenant ne subiront aucun changement d’ici à dix ans? Ce qui se passe dans l’étude du monde extérieur se reproduit dans l’étude du monde moral. Les théories se multiplient et se détrônent à propos des phénomènes dont nous sommes témoins chaque jour, et nous trouverions singulier que les faits accomplis sous les yeux des générations qui nous ont précédés donnent naissance à des théories contradictoires! Notre étonnement serait de l’ingénuité. Les mêmes événemens racontés à cinquante ans de distance ne peuvent pas se présenter sous le même aspect à l’esprit des hommes studieux. Ils ne demeurent ce qu’ils étaient que pour les lecteurs frivoles qui négligent les nouvelles sources d’information. D’ailleurs, en dehors des documens inattendus qui se produisent, que souvent le hasard met entre nos mains, il y a d’autres raisons pour que nous changions d’avis sur le passé. Ce qui se fait dans le temps présent nous oblige à juger les événemens du siècle dernier autrement que ne les jugeaient nos pères. Il suffit d’ouvrir les yeux pour comprendre qu’il n’y a pas en histoire d’opinion définitive.

Parmi les momens du passé qui ont donné lieu aux interprétations les plus diverses, il faut placer au premier rang la renaissance et la réforme; mais il y a deux manières d’étudier la réforme et la renaissance, comme les autres époques de l’histoire. On peut se placer au point de vue scientifique et chercher la vérité dans les livres; on peut se placer au point de vue politique et demander au passé la raison du présent. On peut interroger la renaissance et la réforme, et, s’inspirant des passions qui animaient le XVe et le XVIe siècles, écouter la parole de Luther dans l’église de Wittenberg, le suivre à la diète de Worms, se glisser parmi les soldats qui allaient combattre les armées espagnoles. L’application de la seconde méthode conduit à écrire des récits vivans qui excitent dans les cœurs généreux des frémissemens de colère, d’indignation. L’application de la première nous donne des livres sérieux, instructifs, mais dégagés de toute passion. Chacun est libre de préférer le point de vue scientifique ou le point de vue politique. Pour ma part, je crois que ces deux points de vue ont une égale importance, une égale utilité. La