science désintéressée nous révèle bien des choses qui ne sont pas aperçues par un esprit passionné, et la passion politique devine, sans qu’on sache comment, bien des secrets qui demeurent impénétrables pour la science désintéressée. Il ne faut ni décourager, ni proscrire aucune interprétation, pourvu qu’elle soit sincère. L’écrivain même qui se trompe, lorsqu’il se trompe de bonne foi, rencontre sur sa route des vérités dont nous pouvons faire notre profit. Le but qu’il touche n’est pas le but qu’il devait toucher ; mais en s’égarant il a suivi des sentiers inconnus que nul pied n’avait encore foulés, et c’en est assez pour que nous lui tenions compte de ses efforts.
Le mérite dont je parle se rencontre surtout dans les monographies. L’esprit le plus laborieux, lorsqu’il embrasse un large espace de temps, se trouve obligé malgré lui de négliger un grand nombre de détails. Il voudrait tout connaître, et se voit forcé d’abréger ses études. S’il poussait à bout ses investigations, sa vie serait trop courte pour accomplir son dessein. En circonscrivant le champ de ses recherches, en se résignant à n’embrasser qu’une courte période, il peut scruter les causes des événemens et ne rien négliger pour se mettre en possession de la vérité complète sur un point déterminé. Il est donc sage d’encourager les monographies. À toutes les époques où la science historique a senti le besoin de se renouveler, avant de raconter la vie entière d’une nation d’après les documens que le hasard ou la persévérance venait de lui livrer, elle a réuni ses efforts sur un espace étroit, et cette résolution a toujours été féconde. Pour justifier ce que j’avance, il me suffira de citer les noms de Sharon Turner et d’Augustin Thierry. Comment ces deux grands esprits sont-ils parvenus à enrichir la science historique de faits nouveaux, de faits inattendus ? N’est-ce pas en concentrant tous leurs efforts sur un espace facile à embrasser ? C’est à l’application de cette méthode que nous devons l’Histoire des Anglo-Saxons et l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands. Si Augustin Thierry eût tenté le récit de la vie entière de la France, aurait-il pu fouiller en tous sens l’époque mérovingienne ? Personne n’oserait le croire. Aujourd’hui nous savons sur cette époque, je ne dis pas tout ce qu’il est permis de savoir, car l’avenir peut nous livrer bien des secrets qui ne sont pas même entrevus, mais du moins tout ce qui demeurait enfoui dans l’ombre et la poussière des bibliothèques. À moins qu’on ne découvre dans le fond d’un château ou d’un couvent quelques manuscrits ignorés de ceux qui les possèdent, l’époque mérovingienne sera pour ceux qui viendront après nous ce qu’elle est pour nous dès à présent. Malgré la persévérance et la pénétration qui recommandaient Augustin