Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas révélé de tels sentimens; mais s’il ne se croyait pas pétri du même limon que ses sujets, il trouvait dans la supériorité qu’il s’attribuait un puissant aiguillon. Il voulait le bien non-seulement par générosité de nature, mais par fierté de race. Il faut bénir de telles erreurs qui peuvent invoquer de telles excuses. Henri IV, malgré ses faiblesses, n’a pas besoin d’être défendu. Il a trop bien compris son rôle, il a dépensé trop d’énergie et de sagacité au service de la justice, pour que la postérité estime toutes ses actions avec une sévérité absolue.

Parmi les adversaires les plus acharnés du roi de France, nous rencontrons les coreligionnaires du roi de Navarre. J’excuserais leurs rancunes, si le Béarnais n’eût pas triomphé avant d’abjurer; mais quand il entra dans le sein de l’église romaine, il avait prouvé à ses ennemis, l’épée à la main, qu’il était en mesure de les contenir et de les dominer. Son abjuration n’était donc pas une lâcheté. Les protestans qui veulent trouver dans cette résolution toute politique un sujet de condamnation ne paraissent pas tenir compte de la condition où il était placé. Sans doute, pour me servir d’une expression mondaine, son abjuration arrangeait ses affaires; mais il avait vaincu assez souvent pour les arranger sans abjurer : voilà ce qu’oublient ses adversaires protestans. D’ailleurs, et c’est là ce qui demeure son éternel honneur, en abandonnant le parti de la réforme, il ne s’est pas tourné contre les réformés. Il n’a pas persécuté ceux qu’il avait conduits à la victoire. Ce n’est pas une abjuration digne de mépris que celle d’un roi qui garde son affection à ses compagnons d’armes après avoir renoncé à leur croyance. L’histoire est pleine de conversions et d’apostasies qui se traduisent en cruelles représailles, pleine de vainqueurs qui renient la cause victorieuse, et se font pardonner leur victoire en frappant ceux qui les ont servis au péril de leur vie. La mémoire de Henri IV n’est pas souillée d’une pareille tache. Assis sur le trône, il a respecté la liberté de conscience, qu’il avait défendue de son épée. Il avait senti la nécessité d’abaisser la maison d’Autriche, et Richelieu n’a fait que suivre ses desseins. C’est là sans doute une preuve de sagacité, mais qui ne suffirait pas pour justifier le rang glorieux qu’il occupe dans l’histoire de notre pays. A mes yeux, son titre le plus solide, c’est d’avoir fait le bien dans la mesure de sa puissance, de n’avoir pas renié ses amis huguenots en embrassant la foi catholique. Il avait maudit la Saint-Barthélémy, il aurait cru s’y associer par la pensée, en répondre devant Dieu comme un complice dévoué, s’il n’eût pas traité ses sujets huguenots avec la même bienveillance que ses sujets catholiques. Vainement dira-t-on que cette justice égale pour tous était un trait d’habileté; c’était aussi un trait de courage, car, en ne témoignant pas la même sympa-