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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/353

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par le respect du droit, par la pratique de la justice. S’il lui est arrivé plus d’une fois, au début de son gouvernement, d’accepter des compromis que sa conscience ne ratifiait pas, nous devons lui pardonner cette faiblesse, car il a fait tout ce qui était en lui pour en effacer le souvenir. S’il n’est pas demeuré à l’abri de tout reproche, il a fait assez de bien pour qu’on excuse ses défaillances.

J’ai dit librement ce que je pense du livre de M. Poirson. Quoique je le compte parmi les maîtres de ma jeunesse sans avoir jamais assisté à ses leçons, je n’ai pas cru devoir atténuer pour lui ce qui me paraît la vérité. J’honore son érudition, qui lui a coûté tant de veilles. Les sentimens généreux qui animent toutes ses pages excitent ma sympathie. Cependant je suis obligé de reconnaître qu’il ne réunit pas l’art à la science de l’historien. Si je parlais autrement, je parlerais contre ma pensée, et M. Poirson ne m’en saurait aucun gré. Il cultive la science pour la science elle-même, et la connaissance complète des faits qu’il étudie suffit à le contenter. D’ailleurs, quand je compare son livre aux trois quarts des livres qui se publient aujourd’hui, et qu’on nous donne pour des compositions historiques, je me sens porté à excuser sa prédilection pour la science pure. Son livre nous explique les campagnes, le gouvernement, les finances, la diplomatie de Henri IV. Les œuvres historiques applaudies dans les salons, que les désœuvrés dévorent d’un œil avide, ne sont guère qu’un assemblage de mots sonores. Aussi, quoique l’art fasse défaut dans cette composition savante, je souhaite de grand cœur qu’il s’en produise beaucoup de pareilles, car on peut dire sans exagération que l’auteur a épuisé son sujet, et l’habileté suprême, aux yeux du plus grand nombre, est de l’effleurer si légèrement, que le lecteur ne se défie jamais de vous. C’est là ce qu’on appelle l’élégance, le charme du style. Bien dire sans trop dire, parler à l’imagination sans commander l’attention avec trop d’autorité, voilà le moyen de plaire; on laisse aux érudits l’ennui de traiter les questions qui se présentent, hélas! sur tous les sentiers de l’histoire. Les érudits ont du temps de reste pour un pareil labeur, et d’ailleurs c’est leur métier. A quoi bon empiéter sur leur besogne? Quant aux lecteurs du monde, il faut offrir à leur appétit un régal plus friand. On esquisse pour eux quelques détails biographiques, en ayant soin de nommer les questions qu’on se dispense de traiter, et l’on gagne ainsi un brevet d’historien. Ceux qui veulent savoir posent le livre après avoir tourné la vingtième page; mais sur cent lecteurs qui ouvrent un livre, combien veulent s’instruire? On cherche à tromper l’ennui, et pourvu que la curiosité soit excitée, on ne demande rien de plus.

L’Histoire du Règne de Henri IV est écrite pour ceux qui veulent connaître le passé. C’est la science toute nue, mais c’est la science.