Or tous les traits que je rassemble ici se trouvent épars dans le livre de M. Poirson. Après avoir lu les trois volumes qu’il vient de publier, on connaît le Béarnais comme si l’on avait vécu dans son intimité. On l’a suivi sur les champs de bataille, on a surpris le secret de ses entretiens avec ses conseillers, on connaît le mobile de ses actions, on n’a plus rien à souhaiter pour former son jugement. On regrette avec lui que Henri IV n’ait pas gardé le trône pendant quelques années de plus pour continuer son œuvre, sinon pour l’achever, car dans le domaine politique il n’y a pas d’œuvre qui s’achève. Les desseins commencés dans la paix sont interrompus et souvent ajournés à long terme par une guerre inattendue. Une chose digne de remarque dans les derniers temps de ce règne glorieux et bienfaisant, c’est le soin avec lequel le souverain s’appliquait à tenir les seigneurs éloignés de la cour. Il tenait à les voir ou du moins à les savoir activement occupés de l’administration de leurs domaines, et ne craignait pas le réveil de la puissance féodale. Il voulait une aristocratie agricole, et, si le temps ne lui eût pas manqué pour accomplir son vœu, le gouvernement de Richelieu n’aurait pas ordonné tant de supplices avec la signature de Louis XIII. A Dieu ne plaise que j’essaie de refaire le passé au gré de mes conjectures : ce serait pour moi et pour le lecteur un passe-temps puéril. Cependant, comme j’ai une foi profonde dans la liberté humaine, je ne crois pas à la nécessité des événemens. Il ne m’est donc pas défendu de me demander ce qu’aurait pu devenir la France, si Henri IV eût vécu seulement dix années de plus. Le pouvoir royal, affranchi dans une certaine mesure par l’éloignement de l’aristocratie, mais soumis au contrôle de l’opinion, aurait pu réaliser les réformes qu’il méditait. La hache de Richelieu n’aurait pas tranché tant de têtes, et Louis XIV n’aurait pas trouvé le sol préparé pour l’établissement de la monarchie absolue. Si l’aristocratie ne se fût pas avilie en quittant ses châteaux pour mendier des charges de cour, les scandales de la régence et du règne de Louis XV devenaient impossibles, et Louis XVI, malgré la médiocrité de son intelligence, entouré de conseillers éclairés, aurait peut-être suffi à sa tâche. Turgot aurait repris les projets de Sully en les agrandissant. Il y a dans l’enchaînement de ces idées quelque chose de plus qu’un rêve, et le livre de M. Poirson les suggère naturellement. Sans doute il n’est pas donné à la sagesse humaine de prévenir les secousses politiques, il y a dans la vie des nations comme dans la vie des individus des crises que nulle prévoyance ne saurait conjurer; mais il n’est pas interdit aux souverains pénétrés de leurs devoirs d’en diminuer le nombre et le danger. Henri IV est de cette famille de souverains heureusement inspirés. Doué de facultés qui ne relevaient pas au-dessus du niveau commun, il avait conquis l’affection et le dévouement de ses sujets
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