croire des héroïnes parce qu’elles secouent la poussière du foyer et se mettent galamment au-dessus des lois communes. Les romans de Mme Sand ont été trop souvent de ces œuvres qui caressent les faiblesses secrètes, poétisent l’effervescence du désir vulgaire, donnent au vice lui-même les dehors d’un grand sentiment et célèbrent la prédominance de la passion effrénée sur le devoir en persuadant aux âmes molles qu’elles s’élèvent par la chute : c’est là leur moralité.
Mme Sand a trouvé une autre source d’inspiration dans toutes les choses de l’art et de l’idéal et dans la vie des artistes. L’art est aussi, comme l’amour, un des déshérités de ce monde que l’auteur a admis dans sa poétique clientèle. Or il y a le sophisme de l’art, comme il y a le sophisme de la passion. Il s’est formé, en effet, dans notre temps, une idée singulière, une sorte de légende sur l’homme qui vit par l’intelligence ou par l’imagination. On l’appelle indifféremment le penseur, le poète, l’artiste. De quelque nom qu’on le nomme, c’est toujours un être exceptionnel, placé dans une sphère à part et ne relevant que de l’indépendance de son génie. Ne le jugez pas d’après les règles vulgaires : il a rompu avec cette réalité prosaïque et laborieuse, tissu trop habituel de l’existence humaine. Ses désordres sont un effet de l’idéal, ses caprices sont des vertus, ses mobilités et ses vices sont le luxe légitime d’une nature généreuse. S’il condescend à gouverner le monde, le monde doit s’estimer heureux de recevoir la loi de sa fantaisie, car sa fantaisie même est sacrée; elle pèse dans la balance plus que la sagesse des hommes d’état. C’est lui qui a découvert la supériorité des rêveurs et des utopistes sur les esprits sensés et les hommes d’action. Il ne compte pas avec la vie, ou plutôt il se fait une vie tout artificielle, enflammée et dévorante, et si un jour, par hasard, il se heurte à la ruine, à l’abandon ou à l’oubli, c’est évidemment la société qui est coupable; pour lui, il a reçu en naissant le droit de tout faire et le privilège de n’être responsable de rien, pas même de ses fautes.
L’essence de ce caractère est un sentiment personnel outré et plein de puérilités, où il entre une certaine exaltation nerveuse, un âpre amour des jouissances, beaucoup d’enivrement de soi-même et le goût des émotions factices. Plus qu’aucun autre écrivain. Mme Sand a mis tout son zèle à illustrer ce type de l’artiste conçu dans notre temps, à montrer la supériorité de cet idéal sur la réalité, de la bohème sur la vie réglée. La théorie et les exemples se mêlent dans ses livres depuis les Lettres d’un Voyageur jusqu’à Favilla. Mme Sand a mieux fait : sans doute pour rendre le contraste plus saillant et l’idée plus plausible, elle a dressé le piédestal de l’artiste exécutant, du musicien, du comédien. Elle a pris un plaisir extrême à faire plier la vertu des grandes dames devant les chanteurs; elle a créé des joueurs de violon qui étaient de véritables génies et des