affectant de se représenter comme un rêveur étranger aux choses de ce monde, et tout en disant qu’on ne s’occupe pas plus de politique que son vacher, ce qui prouve tout au moins qu’on a un vacher, — Mme Sand était fort capable de laisser échapper de ces paroles qui montrent jusqu’où peut aller une imagination égarée.
Tout bien considéré, puisque Mme Sand a raconté sa vie[1], elle ne peut trouver mauvais qu’on l’aide à préciser ses souvenirs en certains points qui touchent à l’histoire de son esprit et qu’on ajoute à ce qu’elle dit aujourd’hui ce qu’elle a pensé, ce qu’elle a exprimé sous d’autres formes dans des circonstances décisives. Elle s’est défendue d’avoir eu jamais du goût pour les sociétés secrètes, pour l’assassinat politique, et même elle se défend dans son Histoire d’avoir jamais porté des cheveux d’un régicide. Il n’y a rien à dire à cela, seulement on aurait pu s’y méprendre. Que disait-elle en effet lorsqu’en un lieu bien connu d’elle à cette époque, on s’élevait un
- ↑ Que l’auteur de cette étude nous permette ici une observation. L’Histoire de ma Vie n’est-elle pas l’histoire (l’histoire assez peu fidèle, hélas!) des personnes que Mme Sand a connues plutôt que celle même de l’écrivain? Puisque Mme Sand nous a mis en scène dans ses mémoires, on ne peut nous blâmer de saisir, quoiqu’à regret, l’occasion qui se présente de noter les singulières assertions qui nous touchent. Est-ce la peine en effet d’avoir vécu près de dix ans en relations familières, quotidiennes, avec quelqu’un pour ne rien savoir de précis sur sa vie, du moins pour oublier ou confondre tout à plaisir, pour nous dénationaliser par exemple et nous attribuer une nationalité qui n’a jamais été la nôtre? Mme Sand a été le collaborateur assidu de la Revue des Deux Mondes pendant neuf ou dix ans, à partir de ses débuts : qu’elle veuille bien se remettre en mémoire ces belles années, se rappeler tout ce que nous n’avons pas oublié, et sans doute elle avouera que le milieu où elle était, que les conseils des amis sûrs et éclairés qui l’entouraient ne lui ont pas fait défaut, ne lui ont pas été inutiles, si de son côté elle a jeté quelque éclat sur ce recueil. Nous avons de cela des témoignages qu’elle ne récusera pas. Pendant ces neuf ou dix ans, Mme Sand a donné à la Revue dix ou douze romans sans compter bien d’autres travaux ; elle a publié là ses œuvres les plus célébrées peut-être, puisqu’on y voit André, Mauprat, Leone Leoni, les Lettres d’un Voyageur, etc. Eh bien ! elle oublie tout pour dire dans ses mémoires ; « Je fis pour ce recueil la Marquise, Lavinia, je ne sais quoi encore! » Or jamais la Marquise et Lavinia n’ont paru dans la Revue des Deux Mondes. Mme Sand ajoute d’un ton léger que depuis notre rupture nous ne lui avons plus guère trouvé de talent. Ceci prouve que sous ce rapport Mme Sand est aussi fort mal informée, car si nous avons déploré les écarts de son esprit, les dissidences regrettables sur les principes, qui devaient nécessairement amener une rupture, nous n’avons jamais parlé de l’auteur d’André et de Mauprat qu’avec une vive sympathie pour son talent. Mais c’est assez de rectifications. Ces mémoires sont-ils d’ailleurs les vrais mémoires de George Sand? L’écrivain éminent que nous avons connu, aimé et admiré n’en laissera-t-il pas de plus sincères et de plus complets? Nous ne pouvons le croire; nous n’avons pas oublié non plus que dans l’hiver de 1835 Mme Sand eut pour la première fois l’idée d’écrire quatre volumes seulement de mémoires, qui ne devaient paraître qu’après sa mort. Quand il nous arrive de feuilleter encore les trois ou quatre cents lettres de Mme Sand qui nous restent entre les mains, nous y trouvons non-seulement crayonné le plan de ces mémoires, mais quelques-uns même des élémens de ce livre posthume, du moins pendant les dix premières et plus belles années de la vie littéraire de l’auteur. (N. du D.)