lité ; je ne veux pas dire par là qu’il soit immoral, mais je n’y trouve pas cette bonne grosse moralité qu’on aime à lire même au bout d’une fable ou d’un conte de fées. Jusqu’à présent, cela ne prouve rien et ne veut rien prouver. L’âme y manque, et moi qui ai tant aimé l’auteur, je me désole de ne pouvoir aimer l’homme. Je ne le connais pas, je ne le devine pas en le lisant, et pourtant il ne se fait pas faute de s’exhiber, mais c’est toujours sous un costume qui n’est point fait pour lui. Quand il est modeste, c’est de manière à vous faire croire qu’il est orgueilleux, et ainsi de tout... C’est un fantôme, et un fantôme en dix volumes, j’ai peur que ce ne soit un peu long... » l’Histoire de ma Vie a vingt volumes! je ne sais trop ce qu’elle prouve; je suis bien sûr que dans les affectations de sincérité et de modestie de l’auteur il y a au moins autant de vanité qu’il y a d’orgueil dans l’indifférence superbe de Chateaubriand, et en fait de bonne grosse moralité, Mme Sand a mis dans ses mémoires les amours de sa mère et de son père. Elle a fait plus que Jean-Jacques, qui ne mettait dans ses Confessions que l’épisode de Mme de Warens.
Voilà le malheur de Mme Sand : elle a cru pouvoir tout penser, tout dire, tout oser. Douée d’instincts puissans, mais dangereux, elle a cru qu’elle pouvait impunément promener son esprit dans toutes les régions du sophisme, et qu’il suffisait de vouloir pour effacer toute distinction entre ce qui est vrai et ce qui est faux, entre ce qui est permis à une imagination bien inspirée et ce qui est simplement l’œuvre d’une imagination licencieuse. Avec des facultés littéraires dont l’éclat a été un des charmes de ce temps, Mme Sand a manqué de ce sens moral supérieur qui règle ou féconde la sève de l’intelligence, et qu’arrive-t-il aujourd’hui? Il arrive quelque chose de bien simple. A mesure que les années et les œuvres se succèdent, l’esprit s’épuise dans cette lutte permanente contre la vérité morale, les dons brillans pâlissent, et cette diminution des qualités premières laisse apparaître je ne sais quel élément grossier et vulgaire qui était sans doute dans la nature de ce talent, mais qui se perdait pour ainsi dire dans l’éloquence.
Lorsque Mme Sand décrivait dans sa jeunesse les orages de la passion, la vivacité du coloris suppléait à la pureté de la pensée, le souille de la poésie animait tout; aujourd’hui elle fait dans ses mémoires des théories sur l’accouplement des sexes et sur leur part réciproque dans la procréation de l’espèce humaine ; elle en vient, selon son expression, à dire sans délicatesse les choses délicates, et elle ne craint nullement de se servir de ces mots qui semblaient réservés jusqu’ici à la langue de Rabelais et de Molière. Mme Sand a tant chanté l’amour libre, que son imagination a fini par se créer un monde particulier de mœurs étranges, où l’on se mêle, où l’on vit ensemble, où règne une saveur de sigisbéisme et d’illégitimité.