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Comment s’étonner de cette prépondérance des Américains en présence de l’inertie des populations espagnoles? Le passé de la race indienne devrait pourtant servir à celles-ci de leçon. Parfois il arrive qu’au milieu de ces solitudes immenses, au fond de forêts séculaires, on voit se dresser le gigantesque tombeau d’une des antiques cités américaines : ses ruines couvrent des espaces de plusieurs lieues carrées; des remparts, où l’imagination croit retrouver les murailles d’Ilion, les entourent encore de leur indestructible ceinture; çà et là des pyramides aux faces recouvertes d’escaliers de pierre élèvent vers le ciel leur masse colossale, attestant la grandeur d’un culte disparu. Et ces restes, que la puissante végétation a recouverts presque partout d’un suaire de verdure, ne sont pas le tombeau d’une ville barbare, il suffit de regarder les sculptures qui s’y rencontrent à chaque pas. Qu’ont substitué les Espagnols à cette société dont ils ont à peine daigné nous transmettre le souvenir? qu’est devenue cette race intelligente qu’ils avaient soumise? De leur propre aveu, la dépopulation a été des deux tiers, et l’immigration est presque nulle.

De cette absence de producteurs et de consommateurs est résultée l’insignifiance des exportations et des importations. Dans cet Océan-Pacifique, incessamment sillonné par la vapeur, où tout ce qui a vie et mouvement se rattache à Panama par une ligne de steamers, il n’y a entre Panama et les côtes qui l’avoisinent aucune communication réglée[1]. Il ne faut rien attendre des maîtres du pays, qui n’ont ni ressort ni énergie. En revanche ils ont un voisin qui n’en manque pas, qui est décidé et envahisseur, qui transforme en quelques années les pays où il pénètre, et qui veut pénétrer partout. C’est le rude et brutal Yankee. Mais l’intérêt commun de toutes les nations ne per- met pas de laisser tomber sous une domination étrangère un pays qui tire de sa situation une si grande importance. Il faut que ce pays reste neutre. Or cette neutralité ne lui peut venir que de deux façons, soit que les grandes puissances maritimes y occupent des points différens pour contenir leur ambition mutuelle, soit qu’une population assez forte pour maintenir son indépendance s’y forme par l’immigration, et, mettant enfin à profit les ressources naturelles de ces contrées, les fasse servir aux intérêts généraux. Nous n’avons pas besoin de dire que de ces deux solutions nous préférons la seconde.


EDOUARD VANEECHOUT.

  1. Une tentative faite en 1834, par une compagnie américaine, pour en établir une, échoua complétement dès le premier voyage.