celui de l’imagination, du sentiment ou du goût. Ce qui était de mise dans un ouvrage d’art plutôt que de philosophie a pu paraître depuis lors applicable à la discussion même du fond des choses, et l’habile écrivain a donné l’exemple de justifier une opinion moins par ses preuves que par ses ornemens. À ce compte, les beaux vers de Lucrèce devraient nous décider en faveur des doctrines d’Épicure. Cette remarque même met hors du débat l’ouvrage de M. de Chateaubriand; ce n’est point un livre de controverse. Éminent par le talent, il doit être préservé de tout hostile examen, comme tout ce qui réussit à charmer sans viser à convaincre. D’ailleurs il y a deux lignes dans le dernier volume qui suffiraient, à notre avis, pour le placer en dehors de toutes les œuvres suspectes de la politique réactionnaire. C’est à la page où l’auteur loue la religion et l’église même d’avoir a produit chez les modernes le système représentatif, qu’on peut mettre au nombre de ces trois ou quatre découvertes qui ont créé un autre univers. » Non, ce n’est pas l’esprit de la contre-révolution qui a inspiré le Génie du Christianisme.
Le livre de M. de Lamennais est plus sérieux, et il a joué dans le monde des esprits un rôle plus philosophique. S’il fallait ne considérer dans les livres que leur influence, aucun peut-être, parmi les nouvelles apologies, ne serait supérieur ou même égal à l’Essai sur l’Indifférence. L’auteur n’est pas un grand inventeur d’idées; ses principes ne sont peut-être pas de lui; mais en les empruntant ici ou là, il les a reforgés en instrumens puissans de polémique, il les a fortifiés par des considérations singulièrement frappantes sur l’état moral du monde, et, marchant hardiment aux conséquences que ses devanciers ignoraient ou redoutaient, il a convaincu les esprits par l’étonnement. Même aujourd’hui il reste beaucoup de lui parmi nous, son empire n’est pas tombé avec son autorité. Détrôné, il domine encore, jusque dans les écoles qu’il a reniées et qui le maudissent. Cependant il s’est trop irrévocablement séparé, il s’est porté à des extrémités trop lointaines pour qu’on puisse, même en isolant une époque de sa vie, le traiter en représentant de la cause qu’il a désertée. Coriolan est mort loin de Rome, et, avant qu’il n’expirât, les pleurs de sa mère ne l’ont pas attendri. Ceux mêmes qui répètent ses leçons ne l’acceptent plus pour maître, et désavoueraient leur doctrine si on la personnifiait en lui. Ce n’est donc pas dans M. de Lamennais que nous chercherons ce qu’on appelle aujourd’hui le traditionalisme.
Ce dernier mot, que nous n’avons pas créé et qui est passé dans la controverse contemporaine, pourrait servir à désigner en général tout l’ensemble d’idées et d’argumens qui, dans la philosophie, la politique, la religion, tend à exclure l’intervention libre de la rai-