sens de la vérité, il a fallu cette tolérance de l’exagération qui sied aux imaginations blasées, pour ramener sérieusement quelques esprits à ces excès de pensée et d’assertion qui semblent à certains préjugés réactionnaires l’apocalypse du génie conservateur.
La sévérité pour les doctrines ne doit pas rendre injuste pour les auteurs. M. de Bonald est un écrivain très distingué. Son goût pour l’abstraction, sa méthode prétendue géométrique, sa subtilité dans le choix et l’emploi des termes, ses redites infinies, le retour continuel des mêmes idées, des mêmes exemples, des mêmes expressions, des mêmes citations, donnent à ses ouvrages une monotonie et une aridité qui trompent sur son talent; mais ce talent a plus d’une qualité solide et brillante. Lorsque l’écrivain renonce au langage technique qu’il s’est fait et à la théorie pure, lorsqu’il condescend à éclaircir ou à justifier ses idées par des développemens de détail, par des applications aux faits ou aux opinions de l’époque, il devient intéressant, animé, souvent vrai, riche même en observations fines ou justes, et en traits heureux qui relèvent sa diction. Il a beaucoup d’esprit dans la polémique; il juge avec pénétration, il décrit avec effet les sentimens et les mœurs de son temps, et il n’est pas un médiocre moraliste. Parfois même la censure de ce qui lui paraît le mal l’inspire jusqu’à l’éloquence. On regrette qu’il ne se défasse pas plus souvent des formes didactiques. On voudrait qu’il sacrifiât ses systèmes à son talent, et l’on souhaiterait de bon cœur qu’il ne crût pas avoir rien inventé.
Des inventions en effet, il en a deux, une en politique, une autre en philosophie. Il était parti d’une pensée qui lui fait honneur : c’est que la révolution française ne serait jamais combattue ni défendue valablement, si on ne la considérait comme une pure question spéculative, et si l’on n’opposait à ses partisans une théorie complète qui embrassât à la fois le gouvernement et la religion, la société et l’esprit humain. Il a imaginé le premier de soutenir le passé, non comme un fait, mais comme une idée, et de traiter rationnellement tout ce qui ne semblait que le produit de l’empirisme des siècles. M. de Bonald pense que tout est du ressort de la raison, même ce qui la surpasse. Quand ce qu’elle avait produit a été renversé, il faut donc qu’elle l’enseigne et le démontre pour le relever. Chez un peuple qui a tout nié et tout aboli, tout doit être retrouvé, récrit et reprouvé avant d’être restauré. Aucune vérité ne peut se rétablir qu’à l’aide et sous la protection de la vérité universelle.
Cette idée est hardie, si elle n’est inexécutable, et elle ne serait pas fausse, quand même la raison humaine serait incapable de l’accomplir. Ce qui est moins hardi et peut-être plus piquant, c’est d’avoir employé un si grand effort d’abstraction spéculative pour re-