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mettre en honneur une vieille pratique, et consacré le rationalisme le plus pur à rétablir ce qu’on a cru depuis lors désigner exactement par le nom tout opposé de traditionalisme.

Mais si la pensée générale est remarquable, l’exécution ne la vaut pas. La philosophie de M. de Bonald n’est pas meilleure que sa politique. C’est à peine même si l’on peut lui prêter une philosophie. On s’étonne aujourd’hui de voir à quel point il est étranger à la science qui porte ce nom. Sous ce rapport, il manque de tradition, c’est-à-dire de savoir. Il a entrevu quelques-uns des côtés faibles de la doctrine de Locke et de Condillac ; il a clairement aperçu les vices des systèmes décidément matérialistes. Plusieurs critiques justes, exprimées avec force ou avec finesse contre Cabanis ou Volney, se rencontrent dans ses écrits, et n’ont que le tort de n’être pas assez variées; mais, lorsqu’il entreprend de philosopher pour son compte, on reconnaît un gentilhomme élevé à la fin du dernier siècle, et qui parle des philosophes sans les connaître, des questions sans se douter de leur histoire, des systèmes sans les avoir étudiés. Le sien est un éclectisme qui réunira, dit-il, Locke et Malebranche, en ôtant à chacun ce qu’il a d’exclusif et de trop absolu. Ce qu’on appelle la philosophie moderne est, selon lui, la philosophie des Grecs, peuple enfant dont tout fut admiré dans le moyen âge. La scolastique adopta les idées innées, ainsi que les théologiens de la réformation. L’école avait pris pour la métaphysique une idéologie obscure et litigieuse. Heureusement il s’éleva au milieu de l’autre siècle une autre méthode de philosophie. Descartes fut le réformateur de la philosophie; il réforma Bacon et ne fut pas lui-même réformé par Leibnitz. Dans les systèmes de Descartes, de Malebranche, de Leibnitz, tout est vérité. L’exposé le plus sérieux de la doctrine de Kant ressemble un peu à de la plaisanterie. Voilà quelques exemples des jugemens de M. de Bonald. On conviendra que c’est parler de la science philosophique au hasard, et comme nous autres simples gens de lettres nous parlons quelquefois de la physique ou de l’astronomie. Au reste, le seul but de l’auteur dans sa critique des systèmes, c’est de conclure que toute doctrine philosophique, toute doctrine sur l’origine des idées, même celle des idées innées, même ces doctrines où tout est vérité, sont incomplètes et presque insoutenables, faute d’être illuminées par la vraie théorie de la parole. Quelle est cette théorie? C’est que la parole est révélée à l’homme. À cette pensée M. de Bonald a attaché sa gloire philosophique, et il l’a exprimée en mille passages, sans varier sur les développemens qu’il en donne, ni sur l’importance qu’il lui attribue. Ce n’est pas qu’il explique jamais clairement si la révélation de la parole était primitive ou historique, c’est-à-dire si Dieu, en créant l’homme, lui avait inspiré avec la rai-