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maines, si longtemps cherché en vain par les philosophes dans l’homme intérieur, et c’était la dernière vérité qui restât à prouver pour la connaissance des êtres et l’affermissement de la société. Là est la question fondamentale de toutes les questions morales. Là est la base de toutes les vérités nécessaires, générales, géométriques, historiques, qui tombent, si la parole est d’invention humaine. Là est la preuve de l’existence de Dieu, le motif des devoirs de l’homme, la nécessité des lois ; là est la raison du pouvoir religieux, civil et domestique, en un mot la raison du monde moral et social. Ces expressions sont textuelles, et elles prouvent que l’auteur de la découverte n’en a pas une médiocre idée. Il en est à ce point touché, qu’il oublie presque de donner à cette hypothèse, qu’il reconnaît pour nouvelle, une autre preuve que l’embarras qu’il éprouve à expliquer naturellement l’existence de la parole et des langues. On prévoit d’ailleurs les conséquences du principe. L’homme isolé ne sait rien, ne comprend rien, n’est rien. Tout lui venant de révélation ne se conserve que par tradition. La raison même résulte de la société. En vérité, cette nullité de l’homme pris en lui-même semblerait supposer qu’il n’est pas, tout aussi bien que la société, tout aussi bien que la révélation, l’ouvrage de Dieu. Si, selon le dire des athées, l’argile s’était d’elle-même animée pour devenir la statue humaine, ce rêve de certains systèmes, je concevrais la nécessité absolue d’une intervention après coup de l’esprit suprême pour donner à l’homme ce que lui refuserait son origine, et diviniser en quelque sorte cette œuvre de la matière. Il aurait fallu ce miracle réparateur pour que Dieu remît à son image l’homme qu’il n’aurait pas fait. Pour qui croit à la création, et à la création selon la Genèse, je le demande, de quoi sert tout cela? Est-ce à prouver l’existence de Dieu? Elle éclate autant dans la création de l’être capable de recevoir la révélation que dans la révélation même, et rien ne prouve Dieu, si l’être fait pour le comprendre ne le prouve pas.

Mais suivons de plus près le père Chastel. Il fait une remarque qui sera venue déjà peut-être au lecteur. Si toute vérité vient de tradition et de révélation, comment est-ce là une vérité nouvelle? Comment, depuis trois mille ans que les hommes cherchent, a-t-il fallu qu’enfin un heureux génie découvrît que rien ne se découvre et que tout est enseigné? M. de Bonald ne s’est-il pas aperçu qu’il y a contradiction entre le sens de son principe et son principe même, et qu’il nie en l’affirmant la vérité de ce qu’il affirme? Mais les contradictions lui coûtent peu. Il semble ne voir aucune difficulté à donner pour base à l’autorité de la religion une vérité que la religion a ignorée. Il l’appuie sur ce qu’elle n’enseigne point, et se sépare de la tradition pour fonder la tradition. Quand nous défendons la {{Tiret|rai-