Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son contre ses ennemis, un de nos argumens est qu’ils raisonnent pour la nier, et qu’ils invoquent la raison contre elle-même. Personne ne s’est jeté plus bravement dans cette contradiction que M. de Bonald. Par ses conclusions, il est plus que personne du parti du fait contre le droit, de l’antiquité contre la réflexion, de la tradition contre la théorie. Dans ses procédés, nul n’est plus rationaliste que lui. Il met tout son art à rendre l’empirisme spéculatif, et c’est par une déduction artificiellement abstraite qu’il cherche à établir qu’en matière de gouvernement, de législation, de religion, il ne faut rien attendre de la déduction, de l’abstraction, et qu’on doit tout recevoir sans examen des mains de l’autorité, qui ne raisonne pas. La transmission impérative de la parole est à la fois la preuve principale, l’exemple décisif et la source originelle de l’infaillibilité de la tradition. Malheureusement son savant adversaire enlève à cette doctrine l’appui de la tradition même, et par conséquent, dans les idées de M. de Bonald, les caractères de la vérité. M. Chastel lui prouve qu’elle manque précisément du titre qu’elle invoque. Il l’accable du poids des plus grandes autorités chrétiennes, et ne lui laisse guère d’autre soutien que quelques sceptiques dangereux. Le voilà obligé, pour identifier le langage et la pensée, à réduire la science à des mots, à se placer sous le patronage des nominalistes, dont il fait les maîtres de la scolastique, sans songer ou sans savoir que les plus célèbres sont gens que l’église a condamnés ou marqués du signe de sa défiance. Ayant lu dans Condillac que Locke était l’adversaire des idées innées, il se déclare pour elles sans examiner d’abord si saint Thomas d’Aquin ne les aurait pas combattues, et surtout sans se douter que la doctrine des idées innées est, de tous les systèmes sur l’origine de nos connaissances, le moins compatible avec son hypothèse de la nécessité universelle de la tradition. Qui dit idées innées dit apparemment le contraire d’idées traditionnelles; rien ne laisse l’esprit par lui-même moins vide et moins nu que l’hypothèse de Descartes, et s’il est une philosophie qui enrichisse avec excès peut-être la raison naturelle de l’homme intérieur, c’est celle pour laquelle M. de Bonald se range contre Locke et Condillac, ignorant apparemment que Locke et encore plus Condillac ont été précisément accusés de vouloir, comme lui, que l’esprit tirât tout du dehors, et que plus ils ont eu tort, moins il a raison. Les erreurs que M. Chastel relève en passant sont si nombreuses et si singulières, qu’elles diminuent beaucoup, si elles ne la détruisent, l’autorité de celui qui les laisse échapper avec tant de sécurité et de la doctrine dont elles sont le triste accompagnement. Mais ce qui la condamne surtout aux yeux de l’habile critique, c’est la conclusion générale à laquelle elle conduit : savoir, que l’autorité forme la