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La réception du « sacré mandement[1] » (expression officielle pour désigner la dépêche impériale) ne causa pas plus de joie à Sidoine que d’orgueil à la ville de Lyon, sa patrie; chacun voulut le voir, l’embrasser, lui souhaiter un bon voyage et un heureux retour. Sur la route, ce fut la même chose. Ses amis, ses proches, l’attendaient à chaque relais de la course publique, se disputant la faveur de l’héberger et ne le laissant partir qu’à grand’peine. Cet empressement lui fit perdre un temps précieux, qu’il dut regretter plus tard. « J’allais bien lentement, dit-il dans la lettre où il fait le récit de ce voyage, non pas que les chevaux fussent rares, mais les amis étaient trop nombreux[2]. » dans les Alpes, autres embarras, autres délais; les routes se trouvèrent encombrées par une neige si épaisse qu’il fallut y creuser des tranchées. Enfin il gagna les plaines de la Ligurie, puis Pavie, où finissait la voie de terre et commençait la voie fluviale. Un de ces bateaux, à la fois solides et légers, affectés aux transports publics et qu’on appelait cursoriœ le prit à son bord, et les eaux du Tessin le versèrent rapidement dans celles du Pô.

Le Gaulois traversait alors pour la première fois les plaines et les fleuves de l’Italie septentrionale; tout était nouveauté, tout était enchantement pour lui. « L’Éridan m’entraînait, écrivait-il quelques mois plus tard à un de ses amis de Lyon, Héronius, son confident poétique et poète lui-même, et tout en voguant je contemplais ces sœurs de Phaéton aux larmes d’ambre que nous avions chantées si souvent la coupe en main; mais en les voyant je ne pus m’empêcher de rire de nos folies. Je coupai à leur embouchure le Lambro bourbeux, l’Adda azuré, l’Adige indomptable et le Mincio paresseux, fleuves dont les uns descendent des monts liguriens, les autres des collines euganéennes. Mon œil tâchait de sonder au passage leurs gouffres profonds et de les suivre au loin sous les forêts de chênes et d’érables qui bordent leurs lits. De toutes parts s’élevait un doux concert d’oiseaux de rivière cachés sous des abris de roseaux, et dont les innombrables nids, suspendus à la pointe des joncs, se balançaient au moindre souffle connue des édifices aériens[3]. Nous arrivâmes bientôt à Crémone, cette fatale voisine de Mantoue, dont Tityre déplorait la proximité. A Brixillum, nous devions changer de bateau; nos rameurs venètes nous quittèrent pour faire place aux mariniers de la province émilienne. Nous ne fîmes qu’entrer et sortir, car Ravenne nous appelait, Ravenne, où nous nous dirigeâmes en droite ligne de toute la vitesse de nos rames. » Sidoine n’y trouva

  1. « Sacra mandata, sacri apices. » Sidoi. Apoll., Epist., I, 5.
  2. « Moram vianti non veredorum pancitas, sed amicorum multitudo faciebat. »
  3. « Nunc in juncis pungeatibus, nunc et in scirpis enodibus, nidorum strues imposita nutabat. » Sid. Apoll., Ibid.