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plus l’empereur, parti pour Rome plus tôt que lui-même n’avait pensé, soit que les ravages de la maladie se fussent ralentis dans le Latium, soit que les autres obstacles qui semblaient devoir le retenir longtemps eussent soudainement cessé. Avant de se remettre en route pour la ville de Romulus, le poète gaulois eut tout le loisir de visiter en détail celle d’Honorius et de Valentinien III.

Cette honteuse capitale des derniers césars, qui n’avaient rien trouvé de mieux pour protéger l’établissement d’Auguste que les lagunes de l’Adriatique et les bourbiers du Pô, Ravenne, ne lui causa que du dégoût. Son air malsain, les cloaques de ses canaux, d’où s’exhalait au mouvement des rames et sous la perche des mariniers une odeur empestée, ses maisons mal assurées sur un sol toujours détrempé, son manque absolu d’eau potable, tout cela lui déplut moins encore que les mœurs de ses habitans, cupides et dissolus, l’amollissement de ses soldats, la licence de son clergé. Cette aversion pour Ravenne ne le quitta plus, et il se venge du séjour qu’il y fit malgré lui par des épigrammes qu’il rend le plus acérées possible. Un Ravennate, originaire de Césennes, nommé Candidianus, lui ayant écrit, à quelque temps de là, qu’il le félicitait d’être à Rome, où du moins il pouvait voir le soleil, spectacle curieux pour un Lyonnais, Sidoine, prenant fait et cause pour sa chère ville de Lyon, n’épargne dans sa réponse ni le mauvais plaisant, ni Césennes, ni surtout Ravenne, dont il fait le tableau le moins flatté. En flagellant son ami Candidianus, il châtiait du même coup la prétention surannée des Italiens, qui ne voulaient voir au-delà des Alpes qu’une terre sauvage et des Barbares. « Tes félicitations, mon cher Candidianus, lui écrit-il, sont bien saupoudrées de sarcasmes. Tu te réjouis de ce que, devenu client de ton pays, j’aperçois enfin le soleil, que nous connaissons à peine, nous autres buveurs des eaux de la Saône, et là-dessus tu me reproches les brouillards où nous vivons, pauvres Lyonnais, et notre jour, dont les vapeurs matinales se dissipent à peine en plein midi. Tu m’oses dire cela, toi Césennate, dont la patrie est un four plutôt qu’une ville. Tu nous as montré du reste quel cas tu fais de ses plaisirs en t’allant réfugier à Ravenne, entre ces nuées de moucherons qui vous percent les oreilles et les grenouilles vos concitoyennes, troupe bavarde et insolente qui mêle si agréablement la danse à ses coassemens. Quelle ville ou plutôt quel marais que ton domicile ! Toutes les lois de la nature y sont perverties. Des murs flottans et des eaux immobiles, des tours qui marchent et des navires à sec, des thermes à la glace et des maisons où l’on brûle, voilà Ravenne. Les vivans y meurent de soif, et les morts y nagent dans leurs fosses. Parlerai-je de ce qui s’y passe? Les voleurs veillent et les magistrats dorment: les clercs font l’usure comme des