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décadence des mœurs romaines par l’immixtion des Barbares en était venue à ce point qu’un Romain de naissance, pour être estimé du soldat, devait prendre des allures barbares. On semblait plus militaire sous une peau de mouton que sous une cuirasse romaine, et il fallut qu’une loi d’Honorius prohibât sous les peines d’amende et de bannissement la honteuse usurpation du vêtement des Goths par des Romains dans les murs de Rome. En Orient, c’étaient les Barbares d’Asie qui donnaient le ton, et les jeunes élégans de Constantinople adoptèrent le costume des Huns, leurs cheveux rasés, leur lourde chaussure, qui gênait la marche et faisait chanceler d’un pied sur l’autre, leur tunique flottante et à larges manches. Déjà à une époque où l’empire était moins humilié, on avait vu Aétius aller chercher dans une alliance barbare appui et protection pour sa fortune : il avait demandé et obtenu en mariage une Visigothe de sang royal, fière Germaine dont l’histoire et la poésie nous parlent, qui était sorcière comme Véléda, ambitieuse et cruelle comme Agrippine, et rivalisait de hauteur avec les plus nobles matrones romaines. Ce fut dans cette sorte de caste que Ricimer se trouva naturellement placé à son début dans les armées de l’empire.

Il apprit la guerre sous ce même Aétius, à la grande école des généraux de l’Occident, où il eut pour compagnons Égidius, Marcellinus et Majorien. Ricimer s’y fit remarquer par son intelligence et son audace, mais aussi par son caractère ombrageux, dissimulé, féroce même, incapable de souffrir ni supérieurs ni égaux. Lorsqu’à la chute du maître, assassiné par la main de Valentinien, les élèves se dispersèrent, les uns rejetant le service d’un prince si aveugle et si lâche, les autres se rendant indépendans dans leurs provinces, comme Égidius au nord des Gaules et Marcellinus en Dalmatie, le Suève Ricimer, à qui l’honneur romain n’était pas si précieux, continua de servir l’empereur, qui paya bien sa fidélité. Du parti de Valentinien il passa sans hésitation dans celui de Maxime, meurtrier de Valentinien; puis il embrassa la cause de l’empereur gaulois Avitus, envoyé en Italie par les Visigoths. A chaque nouveau règne correspondait pour lui une nouvelle faveur, et on le vit en peu d’années comte, généralissime et patrice. Quelques faits d’armes brillans en Sicile et en Corse contre les pirates vandales semblèrent justifier, sinon expliquer l’engouement dont il était l’objet de la part des princes, et au milieu des divisions de parti qui écartaient les généraux romains, ce Barbare parut un homme nécessaire. Il commandait les troupes d’Italie lorsque Avitus, accumulant fautes sur fautes, s’aliéna l’esprit du sénat et du peuple de Rome. Habile à saisir l’occasion, le patrice fit révolter son armée, attaqua dans Plaisance ce vieillard, peu fait pour les orages d’un pareil trône, le