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Quoique Paulus fût bien en cour, il ne manquait pas d’hommes pour qui l’abord du palais était plus facile, et dont l’intervention, au point de vue des affaires, serait plus efficace près du conseil privé ou des bureaux de la chancellerie impériale. Après avoir passé en revue avec Sidoine tous les membres du sénat, Paulus arrêta son choix sur deux consulaires qui tenaient la tête de l’ordre illustre, et, suivant son expression, étaient, dans le rang des dignitaires civils, princes après le prince qui portait la pourpre. Il introduisit bientôt son ami près de ces deux personnages, qui mirent gracieusement au service des affaires d’Auvergne et du député de cette province leur immense crédit. Grâce à la familiarité qui s’établit entre eux, et dont Sidoine fit la confidence à son correspondant transalpin, nous pouvons nous représenter aujourd’hui deux types curieux d’hommes politiques, pris dans cette Rome qui va périr, qui se débattait si douloureusement sous l’étreinte d’un Barbare, mais où la vie sociale marchait toujours comme le mouvement d’une machine puissante montée pour des siècles par un bras vigoureux.

Ils se nommaient Gennadius Aviénus et Cécina Basilius. Le premier descendait de Valérius Corvinus, le second de Décius, ou du moins ils prétendaient en descendre, ce qu’on leur accordait assez volontiers, car les peuples ne voient pas sans regret disparaître des noms historiques dont la gloire se confond avec celle de la patrie. Ce qui était plus incontestable que la généalogie d’Aviénus, c’était l’honneur insigne que lui avait fait en 452 le sénat romain en l’envoyant, de compagnie avec le pape saint Léon, vers Attila, maître de la Haute-Italie, pour détourner le roi des Huns de son projet d’attaquer Rome. Basilius et lui, égaux en crédit, égaux en dignités, attiraient également tous les regards, et l’on ne parlait jamais de l’un sans penser aussitôt à l’autre. Tous deux étaient parvenus au consulat, la distinction suprême et le faîte des grandeurs. On notait cependant entre ces deux hommes, comparables pour la fortune, de grandes différences de caractère et de considération. Le bonheur avait été pour beaucoup dans la carrière d’Aviénus, le mérite dans celle de son rival, et l’on disait malignement que les dignités étaient accourues au-devant du premier avec un empressement plein de grâce, tandis que le second les avait enlevées de force et tardivement, mais toutes d’un seul coup. Une foule de cliens stationnait aux portes de leurs maisons suivant l’ancien usage, et les précédait, les flanquait, les suivait, dès qu’ils en avaient franchi le seuil; c’était comme une tribu, comme une armée qui leur faisait cortège à travers la ville. Cependant des sentimens bien divers agitaient l’un et l’autre camp; les cliens d’Aviénus n’avaient dans leur patron qu’une confiance timide, ceux de Basilius croyaient fermement en lui. En-