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gouvernement en ne les séparant plus ! » C’était la moralité du poème et celle de la situation.

Les deux déesses se donnent la main; Anthémius devient empereur d’Occident, Ricimer épouse sa fille, et de grands préparatifs d’armes vont effrayer Genséric dans Carthage. « O prince, ajoute le poète en terminant, je renvoie à une prochaine époque la suite de mes chants. Quand tu seras consul pour la troisième fois et que ton gendre le sera pour la seconde, mon audace croissant avec vos succès, je dirai en quel nombre sont tes vaisseaux et tes soldats, et tout ce que tu auras accompli de grandes choses, et en combien peu de temps. » Vœux superflus ! ce chant devait être le dernier du poète, et le sort ne réservait point à son héros un troisième consulat.

C’est ainsi que le député de la cité gauloise des Arvernes se trouva mêlé par hasard à une des dernières catastrophes de l’empire d’Occident. Les conseils, les encouragemens, les leçons qu’il adressait aux Romains sous une enveloppe mythologique, furent accueillis avec faveur. On applaudit aux beaux vers dont le poème brille par intervalle; on applaudit peut-être davantage aux mauvais, qui chatouillaient le faux goût du siècle. Le succès dut être bien grand près de l’empereur et près du sénat, puisque le jour même Anthémius consul signait un rescrit qui nommait Sidoine Apollinaire préfet de Rome.


VI.

Sa préfecture ne présenta rien de remarquable qu’un incident de nature grave, à la vérité, et qui compromit un instant sa responsabilité de magistrat. Les arrivages de blé ayant manqué à raison des hostilités ouvertes entre les flottes romaine et vandale, la gêne des subsistances se fit sentir dans la ville; déjà la multitude s’agitait, et la peur gagna Sidoine : « Je tremble que la faim du peuple romain n’éclate par quelque tonnerre sous les voûtes de l’amphithéâtre, écrivait-il à un de ses amis, et que la disette publique ne soit attribuée au malheur de mon administration. » On voit qu’il s’agissait là de sa gloire et peut-être de sa vie : les élémens vinrent à son secours. Cinq transports sortis de Brindes avec un chargement de blé et de miel, ayant franchi sans obstacle le détroit de Sicile, furent amenés par les vents du côté d’Ostie. Sidoine, averti à temps, dépêcha un homme de confiance pour mettre la main sur ces bâtimens et leur faire remonter le cours du Tibre : l’apparition des navires calma l’effervescence populaire. L’alimentation de Rome était devenue le soin principal et presque unique des préfets de la ville dans