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revêtant sa cuirasse, elle s’élance dans l’air qui la transporte aux rivages de l’Océan-Indien. Là, dans un palais de cristal et d’or, au milieu des fleurs et des parfums, siège, sur un trône de pourpre, la lampe du jour à la main, l’Aurore, génie de l’empire d’Orient. A l’aspect de Rome, l’épouse de Tithon s’effraie; mais Rome la rassure par des paroles mêlées de douceur et de reproche, car la démarche semble douloureuse au cœur de la déesse.


« Ne crains rien, lui dit-elle, ce n’est pas la guerre qui m’amène ici; je ne viens ni emprisonner l’Araxe sous mes ponts, ni faire boire aux soldats italiens les eaux du Gange. Artaxarte avec ses campagnes peuplées de tigres, le royaume de Porus, l’Hydaspe et Bactres, et les remparts de Sémiramis ne trembleront point au bruit de mes clairons; je n’ambitionne point le palais des Arsacides, et ne veux point donner le mot d’ordre aux portes de Ctésiphon. Cet hémisphère ne m’appartient plus, je te l’ai cédé; mais aussi n’ai-je pas mérité par là que tu protèges ma vieillesse?

« Le pays que bornent le Tigre et l’Euphrate est aujourd’hui ton patrimoine : il fut jadis le mien, je l’avais payé du sang de Crassus. Tu possèdes l’Arménie et le Pont : demande à Sylla ce qu’ils m’ont coûté. Te parlerai-je de la mer Egée, de ses îles et de ses rivages? Tu règnes sur la Crète, que Métellus m’a conquise; sur la Cilicie, que me soumit le grand Pompée; sur les Isaures et les Syriens, domptés par Servilius avec l’épée de mes légions. Crédule que j’étais, j’ai transporté à ton profit le testament d’Attale ! Je t’ai abandonné l’antique Étoile et l’Épire, et les campagnes arrosées par l’Achéloüs; tu dictes des lois à l’Illyrie et à la Macédoine, et les descendans de Paul-Émile vivent encore dans mes murs! L’Egypte t’ouvre ses greniers comme si tu avais gagné la victoire d’Actium; la Judée t’obéit comme si Vespasien et Titus avaient été tes généraux. Et puisque tu domines la terre des Doriens, et l’Achaïe, et l’isthme heureux qui sépare les deux mers de la Grèce, raconte-moi, je te prie, quel Mummius byzantin t’a donné Corinthe! Tu es riche, et tu vois affluer dans tes ports les marchandises de l’île de Chypre, conquête des Catons : je suis pauvre, et n’ai gardé des Catons que leur gloire.

« Mais laissons de côté le passé et ses regrets : si tu veux assoupir nos vieilles querelles, accorde-moi Anthémius. Qu’il règne sur mon univers, comme Léon sur le tien! Que le divin Marcien, dont l’astre brille aujourd’hui dans les cieux, contemple sa fille Euphémie revêtue de la pourpre qu’ont portée ses ancêtres! Fais plus, et qu’une alliance privée raffermisse l’alliance publique! Que Ricimer devienne le gendre de mon empereur! Leur noblesse est pareille, et si la vierge de Byzance est de sang royal, le défenseur de l’Italie l’est aussi. Consens à cet hyménée, l’Afrique recouvrée sera la dot »


Alors l’épouse de Tithon fait entendre ces courtes paroles : « O ma mère, le sacrifice que tu me demandes est grand ! Mais prends, emmène avec toi ce chef dont l’assistance m’était si chère; seulement montre-toi plus douce envers moi, et tenons mieux les rênes du