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qu’on essaie de la fixer sur le papier à l’aide du crayon ou du pinceau, et l’on s’étonne de ne pas trouver au logis la réalité aussi splendide, aussi expressive qu’on l’avait cru d’abord. Pourquoi? C’est que le Lorrain et le penseur des Andelys ne s’en tenaient pas au témoignage de leurs yeux, et agrandissaient, souvent à leur insu, ce qui s’offrait à leurs regards. Olevano, Gennazzano, la Cervara sont des matériaux excellens pour un peintre habile; mais le bon sens ne permet pas de croire qu’ils donnent des tableaux tous faits. Il manque à l’aspect de la plus riche nature une expression précise, et pour que la réalité devienne œuvre d’art, il faut absolument que l’intelligence détermine ce qui est indécis. Il est bon d’avoir parcouru la campagne romaine et visité les montagnes et les collines qui entourent Tivoli et Frascati pour mesurer l’intervalle qui sépare la réalité la plus belle des œuvres du pinceau qui font autorité. En comparant ce qui est sorti des mains de l’homme à ce qui est sorti des mains de Dieu, on arrive sans effort à sentir tout le néant de l’imitation littérale. Il n’est pas donné au pinceau de reproduire la transparence de l’air, le mouvement des feuilles, les gerçures et les crevasses des terrains. Il n’y a pour le peintre de paysage qu’un moyen de nous émouvoir, c’est de ne pas engager la lutte avec la nature et de prendre la forme des choses comme une langue qui doit traduire sa pensée. C’est ainsi que procédaient Claude Gellée, Nicolas Poussin, et si Ruysdaël n’occupe pas dans l’histoire un rang aussi élevé, c’est qu’il ne savait pas interpréter ce qu’il avait vu d’une manière aussi puissante, c’est qu’il n’écrivait pas sa pensée en termes aussi précis.

Tous ceux qui s’intéressent au développement des arts du dessin s’affligent avec raison des doctrines qui dominent aujourd’hui le paysage. Il ne faut pourtant pas imputer ces doctrines à l’abaissement de l’intelligence. La meilleure part de cette aberration revient évidemment à la photographie. Le soleil dessine la forme des objets plus exactement que les plus habiles crayons, il les modèle d’une manière plus précise que les plus habiles pinceaux, et comme l’imitation est plus facile à comprendre que l’interprétation, on ne doit pas s’étonner que la photographie ait excité une admiration si vive. L’œuvre du soleil, envisagée comme document, est une chose excellente, dont il ne faut pas médire; si l’on veut y voir l’équivalent de l’art le plus parfait, on se trompe d’une manière absolue. Le soleil reproduit sur le papier tout ce qu’il atteint par sa lumière. L’œil humain n’aperçoit pas tous les détails que nous donne la photographie : c’est là une vérité acquise à la discussion; mais le soleil ne choisit pas, et l’art doit choisir. C’est pourquoi dans le domaine du paysage, comme dans le domaine de la figure, le soleil vaut moins