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que l’art. Qu’on prenne les œuvres les plus parfaites de la Grèce et de l’Italie, qu’on les étudie en les comparant à la nature, et quelques heures suffiront pour démontrer que Phidias et Raphaël n’ont pas copié ce qu’ils voyaient. S’ils avaient pu atteindre par leur regard et reproduire par le ciseau ou le pinceau ce que le soleil atteint par sa lumière, aurions-nous le Parthénon et les chambres du Vatican? Pour le croire, pour le dire, il faudrait ignorer toutes les conditions qui régissent la peinture et la sculpture. L’art ne doit pas transcrire ce qu’il voit, mais choisir ce qui lui convient et répudier ce qui ne lui convient pas; en d’autres termes, il doit retenir pour son usage ce qui est conforme à son but et négliger tout ce qui lui est inutile. Le soleil procède autrement : il touche à tout ce qu’il éclaire et transcrit tout ce qu’il a touché; il n’omet rien, ne sacrifie rien, car il agit sans volonté, sans dessein préconçu, et ceux qui voient dans la photographie quelque chose de supérieur à la peinture confessent à leur insu qu’ils ne comprennent rien à la peinture. Je ne voudrais pas désoler les gentilshommes campagnards et les roturiers enrichis qui possèdent un appareil photographique et occupent leurs loisirs en fixant sur le papier l’image de leur famille ou de leur parc. C’est un délassement très innocent, que je leur pardonne volontiers. Cependant je dois leur dire que les feuilles de papier qui décorent leurs salons et les ravissent en extase n’ont rien à démêler avec la peinture. Si le front ou le nez de leur progéniture est orné d’une verrue, le soleil la copie avec une exactitude scrupuleuse. C’est là sans doute un avantage précieux pour la ressemblance : il n’y a pourtant pas de quoi se pâmer d’aise. Quand le soleil a dessiné toutes les gerçures des lèvres, toutes les rides des tempes, le portrait reste encore à faire, car l’œuvre du soleil a cela de singulier qu’elle exprime sans pitié les détails que nos yeux n’aperçoivent pas.

Il ne faut donc voir dans la photographie qu’un document à consulter, document très fidèle dans le sens absolu du mot, puisqu’il ne révèle rien d’imaginaire, mais qui nous abuse en nous offrant les choses sous un aspect que nos regards ne peuvent contrôler. Malheureusement la photographie est acceptée aujourd’hui comme une autorité sans appel. Les œuvres du pinceau, on peut le dire sans exagération, sont estimées en raison directe de leur conformité avec la photographie, et je n’hésite pas à dire que la découverte de Daguerre, si estimable d’ailleurs au point de vue scientifique, a puissamment contribué à la corruption du goût public. Je rends pleine justice aux mérites de la photographie, je sais les services que lui doit l’histoire de l’architecture; la collection des monumens de l’Egypte, rapportée par M. Thénard, est assurément une des plus