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son comme de leur main gauche. Quand, par un accident inattendu, ils sont réduits à ce genre de combat, ils n’offrent qu’un débile et petit adversaire. » Néanmoins, pour l’amour de ceux qui se laissent accabler par ce nom éblouissant de majesté, il consentit « à ramasser le gant du roi Charles, » et l’en souffleta de manière à faire repentir les imprudens qui l’avaient lancé. Bien loin de fléchir sous l’accusation de meurtre, il la releva et s’en para. Il étala le régicide, l’établit sur un char de triomphe, et le lit jouir de toute la lumière du ciel. Il raconta avec un ton de juge « comment ce roi persécuteur de la religion, oppresseur des lois, après une longue tyrannie, avait été vaincu les armes à la main par son peuple, mené en prison: puis, comme il n’offrait, ni par ses actions, ni par ses paroles, aucune raison pour faire mieux espérer de sa conduite, condamné par le souverain conseil du royaume à la peine capitale; enfin frappé de la hache devant les portes mêmes de son palais… Jamais monarque assis sur le plus haut trône fit-il briller une majesté plus grande que celle dont éclata le peuple anglais, lorsque, secouant la superstition antique, il prit ce roi ou plutôt cet ennemi, qui seul de tous les mortels revendiquait pour lui le droit divin, l’impunité, l’enlaça dans ses propres lois, l’accabla d’un jugement, et, le trouvant coupable, ne craignit point de le livrer au supplice auquel il eût livré les autres? » Après avoir justifié l’exécution, Milton la sanctifia: il la consacra par les décrets du ciel après l’avoir autorisée par les lois de la terre. De l’abri du droit, il la porta sous l’abri de Dieu. C’est ce Dieu qui abat « les rois effrénés et superbes, et qui les déracine avec toute leur race. » — « Relevés tout d’un coup par sa main visible vers le salut et la liberté presque perdus, guidés par lui, vénérateurs de ses divins vestiges imprimés partout devant nos yeux, nous sommes entrés dans une voie non obscure, mais illustre, ouverte et manifestée par ses auspices. » Ainsi établi dans une conviction raisonnée, il resta inébranlable aux chances. Il supporta tout, et ne se repentit de rien. Il vit sa république détruite, ses amis proscrits, sa vie menacée, ses doctrines maudites, le dégoût de la liberté, l’enthousiasme de la servitude, un peuple entier précipité aux genoux d’un jeune libertin incapable et traître. Au lieu de renier ce qu’il avait fait, il s’en glorifia; au lieu de s’abattre, il se rasséréna; au lieu de faiblir, il se fortifia. « Cyriac, disait-il[1], voilà trois ans aujourd’hui que ces yeux, quoique purs au dehors de toute tache et de toute souillure, privés de leur lumière, ont cessé de voir. Soleil, lune, étoile, l’homme, la femme, durant toute l’année, rien n’apparaît plus à leurs globes inutiles. Pourtant je ne murmure point

  1. XXIIe sonnet, 1554.