et jamais retirée, — couvrant la terre de parfums, de fruits, de troupeaux. — comblant les mers de frais innombrables, — et mis à l’œuvre des millions de vers industrieux — qui, dans leurs vertes prisons, tissent la fine chevelure de la soie ? — Pourquoi dans ses propres reins a-t-elle entassé l’or adoré du monde, — sinon pour plaire et rassasier le goût multiplié ? — Si nous vivions d’abstinence, comme ses bâtards, non comme ses fils, — toute surchargée de son propre poids, — elle étoufferait suffoquée de sa fertilité perdue ; — la mer regorgeante s’enflerait, et les diamans abandonnés — viendraient flamboyer sur le front de l’abîme, — et le fleuronner de tant d’étoiles, que les êtres d’en bas — s’accoutumeraient à la lumière, et monteraient enfin — pour fixer sur le soleil leurs yeux inéblouis. »
Des épithètes immenses, à la façon d’Eschyle, marchent comme un cortège royal devant l’idée qu’elles agrandissent et qu’elles annoncent. « Les belles nymphes, roses vivantes des bois, aux brodequins d’argent, aux jupes de fleurs, » — « les brûlans séraphins aux éblouissantes rangées, » — « les angéliques trompettes tonnantes dressées vers le ciel : » il n’y a point dans le Prométhée ni dans les Sept Chefs de mots plus audacieux ni plus amples. Les vastes spectacles de la campagne se concentrent en personnages allégoriques et vivans, subitement et naturellement créés, comme dans l’élan des religions primitives. D’un coup d’œil, Milton embrasse « les îles ceintes par la mer, qui, comme de riches diamans variés, incrustent la poitrine nue de l’abîme, » — « le soir encapuchonné de gris qui, semblable à un triste pèlerin sous sa robe monastique, se lève derrière les roues fuyantes du soleil. » L’être ainsi formé prête au paysage son unité, et ce paysage lui prête son étendue. La nature ainsi transformée n’offre plus que des grandeurs et n’excite plus que des admirations.
L’admiration est un sentiment calme, car les objets qui nous émeuvent nous communiquent quelque chose de leur nature, et devant les choses grandes nous nous sentons grands. L’enthousiasme de Milton n’a rien d’excessif et de maladif comme celui de Shakspeare. Il est serein, parce qu’il s’appuie sur la raison et sur la force. Il s’étale en longues phrases où l’idée, amplement développée, ne retranche rien à son cortège et ne presse aucun de ses pas. Il harangue et il explique ; ses plus hautes hymnes ont la lenteur d’une mélopée et la gravité d’une déclamation. Son style ressemble à la musique d’un orgue, et il semble qu’un de ces personnages en donne l’idée par ces vers :
« Dans la profondeur des nuits, quand l’assoupissement — a enchaîné les sens des mortels, j’écoute — l’harmonie de la sirène céleste, — qui, assise sur les neuf sphères enroulées, — chante pour celles qui tiennent les ciseaux de la vie — et font tourner les fuseaux de diamant — où s’enroule la destinée des dieux et des hommes. — Telle est la douce contrainte de l’harmonie sacrée — pour charmer les filles de la Nécessité, — pour main-