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connaît le jeune Alexis avec deux autres de ses camarades. Arrêtés immédiatement, les trois promeneurs sont condamnés à recevoir chacun trois cents coups de baguette; mais osera-t-on frapper Alexis, le fils de Stépane Mikhaïlovitch, un officier noble? En vain le jeune homme rappelle qu’aucun châtiment corporel ne peut lui être infligé; on le couche par terre, on le frappe de verges en lui défendant de crier afin de ne point troubler le service divin. L’exécution terminée, le pauvre jeune homme est porté à l’hôpital à demi mort; mais aussitôt guéri, il donne sa démission et entre dans les bureaux du gouvernement, où il trouve un régime mieux approprié à son caractère, doux et modeste comme celui d’une jeune fille.

D’autres épreuves cependant attendent encore Alexis. A peine entré dans les bureaux, le timide et rustique jeune homme voir partout les mœurs nationales battues en brèche par l’influence des mœurs étrangères. Il subit l’ascendant d’une civilisation supérieure personnifiée dans la gracieuse fille d’un personnage important de la ville, Sofia Nikolaïevna. Spirituelle, instruite, d’une beauté remarquable, Sofia donne le ton à la haute société d’Oufa. Elle inspire en même temps l’intérêt par son caractère énergique et noble. Quoique bien jeune, Sofia a déjà traversé bien des heures douloureuses. Son père s’étant remarié, elle a été en butte à la jalousie, aux mauvais traitemens de sa seconde femme, et une piété ardente l’a seule défendue contre un désespoir qui la poussait au suicide. Quand la mort de la marâtre a ouvert une nouvelle existence à la pauvre jeune fille, une maladie cruelle est venue frapper son père. C’est elle qui, à la place du vieillard, atteint de paralysie, doit diriger la maison et imposer sa volonté aux mêmes valets qui la méprisaient jadis. C’est de la noble et fière Sofia qu’Alexis tombe amoureux. Sofia accueille d’abord ses hommages avec une sorte de pitié; puis, voyant l’état de son père s’aggraver de jour en jour, comprenant la nécessité de se prémunir contre un isolement terrible, Sofia se laisse attendrir. Elle impose son choix à son père malade, et le jeune employé est autorisé par elle à solliciter l’approbation de Stépane Mikhaïlovitch. Le premier mouvement du vieillard est de repousser une pareille demande. La famille du seigneur d’Aksakova intercède alors pour le jeune Alexis, et après une soirée tristement silencieuse, après une nuit passée en profondes méditations, Stépane, qui n’a pas pris la plume depuis dix ans, se décide dès le lendemain matin à écrire ces quelques lignes en réponse à son fils : « Nous et ta mère, Anna Vassilievna, nous te permettons d’épouser Sofia Nikolaïevna, si telle est ta volonté, et nous t’envoyons notre bénédiction paternelle. » On devine que cette lettre laconique comble de joie le jeune amoureux. Peu de jours après, le mariage est célébré à Oufa, puis les