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de la maison. Elle leur déclara que, se sentant près de mourir, elle ne voulait plus être tourmentée, et qu’elle désirait rester seule avec celui qui se chargerait de lui lire l’Évangile. — Ai-je bien pris toutes les dispositions nécessaires? ajouta-t-elle en se tournant vers un des assistans. Ne faut-il point encore quelque chose? — Non, lui répondit celui-ci, tout est en ordre. — Allons, c’est bien, lui répondit la mourante. Je vous prie de ne plus vous occuper de moi. Faites-moi le plaisir de vous retirer.

« Pendant les cinq jours qu’elle vécut encore, elle ne cessa de réciter des prières, d’écouter la lecture de l’Évangile ou de chanter des psaumes. Cependant, avant de rendre le dernier soupir, elle voulut prendre congé de sa famille et de tous ses domestiques; mais elle leur recommanda de passer devant son lit sans ouvrir la bouche, et elle leur répéta à tous, même à son cocher, les paroles suivantes : « Pardonne-moi, pauvre pécheresse que je suis! » Quelques instans après, elle expira. »


II.

Le livre de M. Aksakof embrasse l’histoire de trois générations. Après nous être arrêté avec lui devant la vénérable figure de Stépane Mikhaïlovitch, après avoir observé la triste et bizarre physionomie du major, nous rencontrons dans cette histoire de famille d’abord le père de M. Aksakof, puis l’auteur lui-même. Avec ces personnages, nous entrons dans une époque nouvelle. La vie du père de M. Aksakof nous montre les idées occidentales agissant avec plus de succès en Russie depuis qu’elles ont cessé d’être une sorte d’auxiliaire de la politique impériale. Les influences qui émanent de l’Allemagne, de la France, de l’Angleterre, sont favorisées alors par les tendances mêmes des classes supérieures de la société. M. Aksakof enfin, l’auteur du livre, personnifie une dernière période du mouvement réformateur. On retourne à la vieille Russie, on cherche à mettre d’accord le passé et le présent, les mœurs des ancêtres et les aspirations des enfans. Nous pouvons donc, grâce à cette chronique, mettre en regard de l’époque dominée par Catherine celle qui l’a suivie et celle même où nous sommes.

La destinée du père de M. Aksakof a été assez agitée à son début. Alexis, le fils unique de Stépane Mikhaïlovitch, a commencé par servir en qualité de sous-officier noble dans un régiment de dragons fixé à Oufa, ville de district située à vingt-neuf verstes d’Aksakova. Une circonstance bien caractéristique le décide à quitter le service militaire. Un jour de fête, par ordre du général, Allemand d’origine, un office divin est célébré dans la chapelle du régiment. On est au cœur de l’été, et les fenêtres sont ouvertes. Tout à coup le gai refrain d’une chanson populaire retentit dans la rue. Le général veut connaître les perturbateurs : il s’approche d’une fenêtre, et re-