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de lui procurer la triste nuit qu’elle venait de passer. Il n’en fallut pas davantage pour exciter l’indignation de Sofia Nikolaïevna, et, oubliant qu’elle parlait au frère et à la sœur d’Alexandra Stépanovna, elle accabla celle-ci d’épithètes tellement blessantes, que le pacifique Alexis Stépanovitcli lui-même en fut courroucé. Au moment où la voiture s’arrêtait devant le péristyle de la maison de Stépane Mikliaïlovitcli, cette petite brouille durait encore. On était arrivé pour le dîner, et tout en se mettant à table, Stépane Mikhaïlovitch s’aperçut bientôt qu’il s’était passé quelque scène désagréable entre les deux époux. Il interrogea sa bru, et celle-ci lui conta l’aventure des rats. Le vieillard en parut surpris; il y avait bien des années qu’il n’avait été à Karateïevo, et il ignorait que la maison fût dans cet état. — C’est la vérité, lui répondit Anna Vassilievna sans remarquer le signe que lui faisait sa fille; il y a une telle quantité de rats dans la maison, qu’il est impossible d’y coucher sans avoir des rideaux bien assujettis. — Et on ne vous en a point fourni? demanda le vieillard à Sofia Nikolaïevna d’un ton de mauvais augure. — Elle lui répondit que non. — C’est bien, reprit le vieillard en lançant sur sa femme et sa fille un regard qui leur donna le frisson. — Le dîner fini, il alla se coucher comme d’ordinaire; mais aussitôt qu’il ouvrit les yeux, il appela Mazane. Celui-ci ronflait, le nez contre une des fentes de la porte; il y attendait le réveil du maître par ordre d’Anna Vassilievna, qui était assise tremblante dans le salon avec ses quatre filles, car Alexandra Stépanovna venait d’arriver. Le fidèle serviteur cria d’une voix de stentor : — Me voilà, — et se précipita dans la chambre. — Alexandra Stépanovna est-elle arrivée? lui demanda-t-il. — Oui, lui répondit Mazane avec un calme respectueux. — Qu’elle vienne me trouver. — Et Alexandra Stépanovna parut presque au même instant devant son père, car en pareille circonstance tout retard augmentait encore le danger. Nous ne décrirons pas la scène qui suivit; c’est en vain qu’Anna Vassilievna se jeta aux pieds du vieillard en le suppliant d’épargner la coupable. Il donna un libre cours à sa fureur, puis, repoussant du pied Alexandra Stépanovna, il lui cria : — Dehors ! et n’ose plus te présenter devant moi avant que je te le permette ! — Le mouvement de colère auquel il venait de se livrer était tel qu’il en était encore accablé le lendemain matin. »


C’est à Oufa, dans la ville où réside le père de Sofia Nikolaïevna, que les nouveaux mariés iront se fixer. Avant leur départ, tous les membres de la famille et quelques propriétaires notables des environs sont invités à un dîner d’adieu. M. Aksakof trouve ici l’occasion de tracer quelques portraits, parmi lesquels celui du conseiller de cour Ivane Nikolaïevitch Kalpinski mérite surtout de fixer l’attention. Le conseiller de cour représente en effet avec une curieuse fidélité cette regrettable influence morale de Catherine que le livre de M. Aksakof est particulièrement destiné à constater. Homme d’esprit et libre penseur, M. Kalpinski s’est formé à Saint-Pétersbourg, et les principes de vie facile qu’il y a puisés, il vient les appliquer dans ses domaines, où il mène une conduite assez légère. Ceux de