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ses voisins qui ont entendu parler de Voltaire l’accusent d’être voltairien. M. Kalpinski est tout simplement un homme de plaisir ou plutôt de goûts cyniques, entièrement dépaysé au milieu de ces vieilles familles russes, sur lesquelles les idées de Catherine n’ont guère eu de prise. On voit clairement, par l’exemple du conseiller de cour voltairien, combien le génie de Catherine comprenait peu la société russe. Le hardi causeur croit de bon goût d’affecter une superbe insouciance pour les relations de famille ; mais c’est en vain qu’il expose sa philosophie du ton le plus dégagé et qu’il prodigue ses plus aimables saillies : il n’arrive à provoquer chez la jeune épouse d’Alexis Aksakof que l’étonnement, et presque le dégoût.

Les nouveaux mariés partent enfin pour Oufa ; mais le livre de M. Aksakof ne nous donne que peu de détails sur l’existence nouvelle qui commence pour eux. On y voit clairement toutefois que, dans le gouvernement d’Orenbourg, à l’époque où nous place ce récit, la population d’origine asiatique ne se subordonnait pas volontiers à l’influence de la société européenne. À l’âge où Sofia Nikolaïevna put diriger elle-même la maison de son père, son autorité dut s’exercer sur un Kalmouk, homme de confiance, qui, pour plaire à la seconde femme de son maître, avait trouvé tout simple de tyranniser la jeune fille. Le Kalmouk, ancien soldat de Pougatchef, rejeta tous les torts sur son ancienne maîtresse, et, le père de Sofia étant tombé malade, il réussit à gagner la confiance du vieillard. Il abusa même des privilèges de sa position pour commettre de petits larcins que Sofia crut devoir lui pardonner. Pendant l’absence de Sofia, qui suivit son mariage avec Alexis, le Kalmouk, qui tenait à gouverner seul, n’épargna rien pour arriver à son but ; il alla même jusqu’à parler de Sofia avec une liberté qui décida la jeune femme à réclamer contre le Kalmouk l’intervention de son vieux père. Celui-ci, pendant que le serviteur incriminé se justifiait, s’évanouit, et les soins que le Kalmouk lui donna durant la crise ne firent que fortifier l’autorité insolite contre laquelle Sofia s’était proposé de réagir. À partir de ce moment, le Kalmouk eut le bon esprit de ne pas trop s’enorgueillir de son triomphe ; il sut vivre en bon accord avec la femme d’Alexis Stépanovitch, qui, devant le lit même où son père venait d’expirer, tendit généreusement la main à un serviteur dont l’âme indépendante savait allier dans un mélange bizarre l’indocilité et le dévouement.

À la Chronique succèdent maintenant les Souvenirs. C’est par quelques pages d’autobiographie que se termine le livre de M. Aksakof. Le petit-fils de Stépane Mikhaïlovitch, le fils d’Alexis et de Sofia nous raconte avec une sensibilité pénétrante les premières années de son enfance. Son grand-père est mort ; M. Aksakof vit dans