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le domaine de sa famille avec ses parens et une de ses tantes qui ne s’est point mariée. Le temps a amené bien du changement dans la manière de voir des seigneurs russes; Alexis Stépanovitch, qui a quitté le service bientôt après son mariage, surveille, il est vrai, avec soin l’administration de ses biens; il est resté fidèle, à cet égard, à l’exemple du seigneur d’Aksakova. Nous assistons à un grand nombre de scènes rustiques, dont les moindres détails sont restés gravés dans la mémoire de l’auteur. Alexis Stépanovitch se montre plein de sollicitude pour le sort de ses paysans, et ceux-ci lui portent autant de respect et d’attachement qu’à leur ancien seigneur. Cependant Sofia Nikolaïevna, qui a dû quitter Oufa pour Aksakova, regrette vivement le séjour de la ville : elle ne peut se faire au calme de cette vie retirée; elle y apporte des sentimens et des habitudes qui auraient paru bien étranges à la vieille Anna Vassilievna, la mère de son mari. L’auteur ne nous dit point, il est, vrai, qu’elle se repente d’avoir uni son sort à celui d’Alexis Stépanovitch; mais les accès de tristesse auxquels elle est souvent en proie l’indiquent suffisamment. Au lieu de veiller aux soins du ménage, elle fait de la lecture sa principale occupation, et elle ne quitte ses livres que pour se consacrer à l’instruction de son fils, qui n’a d’autre maître qu’elle pendant sa première enfance. Lorsqu’il est en âge d’acquérir des connaissances plus étendues, elle consent à se séparer de lui malgré toute l’affection qu’elle lui porte. Les moyens d’éducation ne manquent plus, comme autrefois, dans cette partie reculée de la Russie, et Sofia Nikolaïevna conduit son fils au gymnase de Kazan. Puis, à peine les portes de cet établissement se sont-elles refermées sur lui, que la pauvre mère se reproche de l’avoir abandonné à des soins étrangers; elle veut le presser une dernière fois dans ses bras, et reprend seule le chemin de Kazan pendant un hiver rigoureux. L’enfant n’est pas moins désespéré que sa mère; le régime presque militaire de la maison lui inspire une sorte de terreur. Au reste, il n’est point le seul à qui cette discipline paraisse insupportable; la plupart de ses jeunes camarades s’y soumettent avec non moins de peine que lui. Toutefois cet esprit d’indépendance ne nuit point aux études; il règne même parmi ces jeunes esprits une ardeur studieuse qui rachète, et au-delà, leur penchant à la révolte. Une circonstance imprévue ne tarde pas à mettre ce zèle dans tout son jour. Le gouvernement décide qu’une université sera érigée à Kazan, et chacun aussitôt veut se rendre digne d’être admis dans le nouvel établissement. L’auteur y est reçu d’emblée, et il continue à nous décrire avec beaucoup de piquant et d’entrain les souvenirs que cette période de son existence a laissés dans son esprit. La principale distraction des élèves de l’université