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les conditions extérieures de l’état social se sont considérablement améliorées en Russie dans toutes les parties de l’empire depuis la fin du siècle dernier. A côté des progrès accomplis, il y a bien aussi cependant plus d’un abus nouveau à signaler. Aux monstrueux désordres de l’ancien temps ont succédé les vices odieux et les ridicules que Gogol nous a dépeints avec tant de verve, et, il est triste de le dire, la loyauté des propriétaires du siècle dernier a fait place à une souplesse parfois excessive. Le goût des plaisirs, pénétrant parmi les nouveaux propriétaires avec les lumières, a augmenté leurs besoins. Ils pressurent d’autant mieux leurs paysans, que les biens dont ils disposent, mal administrés, sont d’un moindre rapport. L’éloignement que les seigneurs russes éprouvaient jadis pour tout service public s’étant évanoui, et les communications étant devenues plus faciles, ils ne résident point habituellement dans leurs terres, et la plupart d’entre eux ont perdu le goût de l’agriculture et l’esprit pratique qui distinguaient leurs ancêtres. Si les hideux désordres et les abus de pouvoir que l’auteur de la Chronique a retracés sont maintenant impossibles en Russie, les passions qui les engendraient ne sont point éteintes pour cela; si elles ont perdu de leur effronterie, elles sont devenues plus basses. Qu’en est-il résulté? C’est que les relations qui rapprochaient autrefois les grands propriétaires des paysans ont fait place à une sorte d’inimitié sourde, d’autant plus dangereuse que ceux-ci semblent beaucoup moins disposés à porter aveuglément, comme ils le faisaient alors, le fardeau du servage.

Le jour où Pierre Ier imposa violemment au peuple russe un système d’administration et des usages tout à fait étrangers à son caractère et à ses traditions, il était facile de prévoir qu’une transformation aussi subite profiterait médiocrement à l’état moral des classes supérieures. L’empereur Nicolas l’avait compris à la fin de son règne; mais, en cherchant à régénérer la Russie par des mesures non moins oppressives que celles de Pierre Ier, il avait encore aggravé le mal. C’est surtout à ces mesures qu’il faut attribuer l’immoralité des fonctionnaires et l’affaissement que l’on remarquait, il y a peu d’années, en Russie, dans les classes lettrées. La sévérité en matière de gouvernement, lorsqu’elle s’applique à des hommes sans principes ou endurcis dans le vice, ajoute encore à leur corruption. Ce n’est point par des moyens violens que l’on parvient à raffermir un édifice qui chancelle : on l’étaie avec prudence pour en consolider les fondemens.

Une nouvelle ère semble heureusement commencer pour la Russie. La guerre qui vient de finir a mis à découvert sa déplorable condition. Le gouvernement et tous les hommes éclairés songent à y apporter un remède efficace. Une foule de projets, inspirés par un sen-