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timent de patriotisme éclairé, circulent dans le pays. Les questions que l’on agite sont très variées; mais il en est deux surtout qui dominent toutes les autres : l’affranchissement des serfs et la réforme de l’administration.

L’émancipation des serfs est généralement considérée comme une chose urgente; toutes les améliorations qui sont à l’ordre du jour s’y rattachent indirectement. Comment songer à développer l’agriculture, l’industrie, le commerce, tant que le fond sur lequel reposent toutes ces branches de l’activité nationale ne sera point modifié? Comment aussi opérer les réformes militaires dont se préoccupe le gouvernement impérial, tant que l’armée russe sera recrutée parmi les serfs? Les projets d’émancipation abondent, il s’agit de choisir. Le gouvernement ne saurait hésiter plus longtemps; toutes les demi-mesures qu’il a prises depuis le commencement du siècle n’ont abouti qu’à répandre parmi les serfs une irritation dont les propriétaires finiraient par être victimes[1].

Parmi les conséquences que doit entraîner l’affranchissement des serfs russes, il en est une surtout qu’il importe de signaler dans l’intérêt même de la politique des tsars. En présence des classes de cette société sur lesquelles les idées mal comprises du XVIIIe siècle n’ont eu que trop d’empire, les nouveaux émancipés ne pourraient-ils donc contrebalancer, par leur initiative morale, des influences étrangères en définitive à la Russie? C’est la partie la plus saine de la société russe qui reprendrait ainsi une part légitime d’autorité, et qui ferait servir la réforme des esprits à une véritable transformation sociale.

Quant aux moyens les plus sûrs de porter un prompt remède aux désordres de l’administration, ils sont faciles à indiquer. Avant tout, il serait urgent d’autoriser la libre discussion de tous ses actes; le gouvernement pourrait puiser dans ce débat des renseignemens utiles, et les employés s’observeraient mieux, si leur conduite était rigoureusement surveillée par le public, observateur vigilant et incorruptible en Russie comme partout ailleurs. Toutefois cette innovation serait encore loin de suffire; il en est une autre que l’on recommande encore plus particulièrement au gouvernement russe : c’est l’abolition du tchine[2], institution qui le met souvent dans la nécessité de con-

  1. La population agricole accepte maintenant en Russie, avec une crédulité qui dénote des dispositions assez inquiétantes, tous les bruits qui se rapportent à son prochain affranchissement. Ainsi au moment de la signature de la paix, les paysans prétendaient que le cinquième point, tenu secret dans les protocoles, concernait l’obligation de les libérer. Telle était la ferme conviction des paysans, qui avaient commencé à émigrer alors de l’Ukraine, avec femmes et enfans, vers le midi de l’empire.
  2. Cette institution, qui remonte au règne de Pierre Ier, assimile l’administration à l’armée; elle y établit une hiérarchie de grades qu’il est nécessaire de parcourir pour arriver à un grade supérieur. Toute fonction civile doit être remplie par un employé d’un grade déterminé : c’est une condition indispensable.