Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maux de toute notre race, qui se dresse sur ce dernier promontoire, tout cela ne donne, en vérité, l’idée du déluge universel qu’à celui qu’une explication préalable aurait mis dans la confidence du peintre. Il est des sujets, et avant tous les autres ceux qui sont tirés de l’Ancien-Testament ou de l’Evangile, qu’il ne faut ni abréger, ni amplifier, ni dénaturer. Il faut avouer que ce qui nous reste des ouvrages des anciens ne présente jamais cette recherche étrangère à l’art. On peut courir après les idées ingénieuses à l’aide des mots; mais dans les arts muets comme la peinture ou la sculpture, c’est une dépense en pure perte si on se la permet en vue du beau, et elle prouve plutôt l’impuissance du sculpteur ou du peintre à émouvoir par les moyens qui sont de son domaine. Il faut rendre aussi cette justice aux Flamands, aux Espagnols, aux Italiens, qu’ils n’ont point affecté ce travers dans leur peinture, et l’on doit en savoir gré surtout à ces derniers, chez lesquels la littérature a étrangement abusé de l’esprit. C’est une manie toute française, qui tient sans doute à notre penchant pour tout ce qui relève de la parole. Le peintre chez nous veut plaire à l’écrivain; l’homme qui tient le pinceau est tributaire de celui qui tient la plume, il veut se faire comprendre du penseur et du philosophe. Comment lui en vouloir? Il rend hommage, en dépit qu’il en ait, à ceux qui sont ou qui se sont faits ses juges. Sa déférence pour le public ne vient qu’après.

Ce que l’on demandera toujours à toutes les écoles et à travers toutes les différences de physionomie, ce sera de toucher l’âme et les sens, d’élever l’intelligence et de l’éclairer.

Il y a sans doute des époques favorables où tout semble s’offrir à la fois, où l’intelligence des juges vient au-devant des tentatives des artistes : heureuses époques, plus heureux artistes de venir à propos et de ne rencontrer que des esprits pour les comprendre et des sourires pour les encourager !

Il est d’autres périodes pendant lesquelles les hommes, émus d’autres passions, demandent des distractions moins élevées, ne trouvent même de plaisirs que dans des occupations arides pour l’esprit, fécondes seulement en résultats matériels; mais enfin les artistes, les poètes peuvent encore s’y montrer de temps en temps. Ils charment un peu plus tôt ou un peu plus tard ce nombre étendu ou restreint des hommes qui ont besoin de vivre par l’esprit. Bien qu’il faille traverser des temps de stérilité, on ne voit jamais tarir entièrement la source de l’inspiration. Titien survit à Raphaël, qu’il a vu naître; le règne des grands Vénitiens succède à celui des grands Florentins. Un demi-siècle plus tard, le prodigieux Rubens parait comme un phare qui va éclairer de nombreuses et brillantes écoles, fidèles à la tradition et pourtant pleines de nouveauté. Les Espa-