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tient Haendel avec une instrumentation qui se compose du quatuor, de contrebasses, de quelques trompettes et d’un hautbois qui donnent à la mélopée un caractère héroïque! Le public a chaudement applaudi cette belle page de musique sacrée, qui, pour être dramatique et remplie d’accords de septième sur la dominante, n’en est pas moins religieuse pour cela.

Le cinquième concert n’a eu de remarquable que l’exécution parfaite de la Symphonie Pastorale, un chœur d’Eurianthe de Weber, et la symphonie en sol de Haydn, qui a clos la séance; mais l’événement musical de l’année a été l’exécution des Saisons, de Haydn, au sixième concert, qui a eu lieu le 22 mars. C’est la première fois qu’on entendait à Paris cette œuvre d’un musicien admirable, qui, comme le Dieu de la Genèse, a tiré le monde musical presque du néant. C’est en 1801 que le maître a composé cette belle idylle, dont les paroles sont du docteur van Swieten, l’auteur du poème de la Création. Haydn avait alors soixante-neuf ans, étant né le 31 mars 1732. « J’assistais à la première exécution de cet oratorio chez le prince de Schwarzenberg, dit Carpani. Il fut vivement et généralement applaudi. Moi-même, émerveillé de voir sortir de la même tête deux productions si différentes, si riches et si parfaites, je courus, dès que le concert fut fini, vers Haydn, pour lui en faire mon compliment. A peine avais-je ouvert la bouche, que Haydn m’arrêta en disant ces mémorables paroles : — Je suis bien aise que ma musique soit agréable au public; mais pour cette composition, je ne veux pas recevoir de complimens de vous. Je suis bien sûr que vous comprenez vous-même qu’elle est loin de valoir la Création; je le sens, et vous devez le sentir aussi. En voici la raison : dans la Création, les personnages étaient des anges; dans les Quatre saisons, ce sont des paysans[1]. » Il y a d’autres raisons encore que celle indiquée par Haydn qui rendent la pastorale des Saisons inférieure au poème de la Création: c’est la prolongation indéfinie du style descriptif, où le docteur van Swieten avait engagé le compositeur, sans s’inquiéter si l’art musical comporte, comme la poésie, une trop grande exactitude dans la peinture des phénomènes extérieurs de la nature. Le docteur avait un si grand amour pour le style descriptif, qu’il voulait absolument qu’Haydn fît entendre dans les Saisons le chant des grenouilles ; « mais, dit Carpani, Haydn tint bon et refusa, à l’imitation d’Homère, de s’embourber dans le marais. »

Après une courte introduction symphonique qui a pour objet de peindre la transition de l’hiver au printemps, ce moment indécis où la froidure de la saison qui s’en va se mêle aux chaudes bouffées de la nature renaissante, vient un chœur à quatre parties d’une harmonie suave et du plus charmant effet, qui a été bien souvent imité depuis. L’air de basse, que chante aussitôt le laboureur Simon :

Le laboureur s’empresse,
Il mène aux champs ses bœufs...


est d’un accent plein de bonhomie agreste. Le motif de cet air est resté dans

  1. Douzième lettre.