Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait entendre à cette même soirée, renferme quelques bonnes parties. L’introduction, un peu vague, n’offre rien de remarquable, tandis que l’andante qui suit est d’un meilleur style et révèle des idées mélodiques qui n’abondent pas toujours dans les compositions du jeune maestro. Une polonaise, sorte de fantaisie pour le piano, que M. Rubinstein a exécutée avec une rare perfection, nous a paru un morceau mieux inspiré que le précédent : certaines oppositions de rhythmes surtout ont mis en relief la bravoure du virtuose. Enfin M. Rubinstein a fait entendre aussi une symphonie de sa composition qui laisse beaucoup à désirer, et pour le plan, la nature des idées, peu saillantes, et pour l’instrumentation, qui manque de sonorité et de coloris. En général M. Rubinstein, dont on ne peut contester l’habileté dans l’art d’écrire, nous semble procéder trop visiblement de certains défauts de Beethoven et viser au style dramatique, qui, dans la musique purement instrumentale, ne doit être qu’un accessoire. Que le brillant virtuose y prenne garde, et que la musique de M. Listz lui soit un enseignement salutaire!

Que conclure de cette foule de sociétés qui se sont organisées à Paris pour l’exécution de la musique instrumentale, de ce nombre considérable de concerts et d’artistes plus ou moins dignes de cette qualification, qui tous les ans s’imposent à l’attention publique ? Il faut en conclure que le goût de la musique pure, de celle qui vit de sa propre vie et sans le secours de la parole, se propage et devient un besoin d’une fraction de la société française. Qu’on ne s’y trompe pas, la Société des Concerts a porté ses fruits. En divulguant, depuis trente ans, les chefs-d’œuvre de la musique instrumentale, en habituant le public à suivre d’une oreille enchantée les symphonies de Beethoven, de Mozart, de Haydn, les inspirations de Weber et de Mendelssohn, elle a élevé son intelligence, et l’a rendu plus exigeant pour les faiseurs de fantaisie et les improvisateurs de cabalette. Oui, les fantaisistes de toute nature sont aujourd’hui complètement abandonnés. Qu’ils écrivent, qu’ils peignent ou qu’ils chantent, la génération qui s’avance ne fait plus attention à eux : on veut être instruit de ce qu’on ignore, on veut être charmé par des virtuoses comme M. Sivori ou M. Rubinstein, et l’on préfère l’Oberon de Weber au Théâtre-Lyrique au Trovatore de M. Verdi sur la scène de l’Opéra. Grand signe de progrès !


P. SCUDO.