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les nations qui s’en sont depuis occupées, et pour les Anglais eux-mêmes, à en juger par le rapport que reçut en mai 1856 le gouverneur de la Trinitad[1], le contre-amiral Charles Elliot, d’un habitant de cette colonie de retour d’une exploration à la Martinique. Entre autres résultats comparatifs fort importans, ce document constate que notre opération maritime est si bien conduite, que sur quatre navires portant 1,564 individus, la mortalité a été seulement de 1 pour 100 pour les trois premiers, et nulle pour le quatrième.

C’est dans ces conditions que s’est effectuée l’immigration indienne qui a jusqu’ici pris la route de nos colonies. Au mois de mars 1857, quoique n’ayant opéré qu’avec les ressources personnelles de ses habitans, l’île de la Réunion comptait dans ses champs et sa domesticité une population de plus de 35,000 travailleurs coolies. Éclairée par l’exemple de Maurice, qui avait usé et abusé de cette ressource, opérant sous la surveillance immédiate du gouvernement, notre colonie a su éviter les excès d’un recrutement anarchique. Sans doute il a bien pu, à l’origine surtout, se glisser quelques abus dans le déplacement de cette masse vivante effectué en un court espace de temps. Malgré l’intelligence dont ils ont donné tant de preuves, les colons de la Réunion n’ont pas encore entièrement compris, le croirait-on ? que l’avènement du travail libre devait faire disparaître toutes les traditions de l’esclavage, même celles de la langue parlée. L’étranger qui arrive dans cette belle colonie est péniblement étonné d’entendre raisonner de la vente et de l’achat des coolies, du haut prix qu’ils valent Ce n’est là, hâtons-nous de le dire, qu’une aberration de langage aussi regrettable qu’irréfléchie. Le colon qui emploie un immigrant n’achète point un homme, il achète l’engagement de cinq ans que cet immigrant a contracté, avant de s’embarquer, avec l’entrepreneur d’immigration. Le régime actuel des 35,000 natifs de l’Inde qui ont prêté leurs bras à l’île de la Réunion n’est donc autre chose que celui du contrat de louage d’ouvrage tel qu’il résulte de notre droit civil, qui impose ici la limitation de durée comme caractère essentiel. Aucune illusion ne saurait exister à l’endroit de cette doctrine, si l’on songe que les tribunaux coloniaux, composés comme ceux de la métropole, sont animés du même esprit[2]. S’il s’était produit quelque doute, il se fût matériellement dissipé lorsqu’à l’expiration de la première période quinquennale écoulée depuis le commencement de l’immigration, on vit ceux des immigrans qu’elle libérait, et qui se refusèrent à renouveler leur

  1. Voyez ce curieux document dans la Revue coloniale de décembre 1856.
  2. En consultant le tome II des Procès-Verbaux de la Commission coloniale de 1849, on reconnaît l’esprit qui a présidé à l’élaboration des règlemens sur l’immigration. La sous-commission qui en prépara la discussion était composée de MM. de Laussat, Hubert Delisle, Barbaroux et H. Galos, ces deux derniers rapporteurs. L’article 36 du décret sorti de cette élaboration prévoit le cas où ces ouvriers ruraux auront à « ester en justice à fin d’exercice de leurs droits envers leurs engagistes et de recouvrement de leurs salaires ou de leurs parts dans les produits… »