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de cette île fortunée, comme le donnerait volontiers à croire la parole courtoise de l’habile gouverneur s’adressant à un auditoire de commerçans et de planteurs ? — Non ; touchant à Maurice, dont elle avait pu suivre la transformation dans toutes ses phases, placée comme son ancienne sœur à la porte de l’Inde, mise en possession d’une indemnité dont le quantum par tête de noir était beaucoup plus fort qu’aux Antilles, la Réunion ne se trouva pas plus tôt en, présence du travail libre que des navires commencèrent à cingler vers ses côtes avec des chargemens d’Indiens. En 1851, cette colonie avait déjà reçu plus de 21,000 immigrans, et on a vu qu’en 1856 elle en comptait plus de 35,000. Si donc la nouvelle Saint-Domingue est dans un état si prospère, c’est que les bras n’y ont pas manqué à la terre, car, tout en reconnaissant l’habileté de ses administrateurs et l’intelligence de ses colons, il faut ajouter que ces derniers avantages, la Réunion les partage avec les autres possessions françaises.

Maintenant quelle est la valeur de la propriété dans cette possession ? A-t-on de la peine à y trouver 100,000 francs d’un domaine donnant 25,000 fr. de produit, et faut-il, pour en obtenir 250,000 fr., laisser à l’adjudicataire des termes indéfinis de paiement ? L’état actuel des transactions foncières à la Réunion s’écarte tellement d’une pareille situation, que nous éprouvons de l’embarras à nous en faire un argument. Depuis ces deux dernières années, rien n’est plus fréquent que des ventes de domaines dans les prix de 600,000 fr. à 1 million, prix dont la moitié se paie généralement au comptant. Cette surélévation, véritablement fiévreuse, ne repose sur aucune donnée déterminée. Tandis qu’aux Antilles se répand de plus en plus la pratique si raisonnable de dégager la valeur de la propriété d’une moyenne capitalisée des revenus[1], dans notre colonie de l’Océan-Indien le prix du sol ne se règle que sur l’idée que l’on a de ses ressources et sur la confiance qu’inspire l’avenir de la métropole. Sans doute c’est aller trop loin, et là se rencontre un caractère aléatoire qui a pu jusqu’à un certain point donner naissance à l’opinion que nous discutons ; mais comment expliquer cette surexcitation, si ce n’est par les forces puisées dans l’immigration et par la confiance de l’acquéreur, certain qu’il existe autour de lui une population de travailleurs assez considérable pour que le personnel de son exploitation soit toujours suffisamment recruté ? Que la même perspective soit assurée à l’acquéreur des Antilles, et l’on y verra naître une situation analogue, mais plus régulière et plus tempérée en ce qu’elle aura mis plus de temps à se développer. Une dernière circonstance très caractéristique à invoquer à l’appui de ces observations, c’est

  1. On prend la moyenne du revenu pendant les cinq dernières années écoulées, et on capitalise : sur le pied de 9 à 10 pour les propriétés urbaines, de 12 à 14 pour les propriétés rurales.