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pleurait. Le lendemain, elle n’y tint plus. — Tu es injuste, dit-elle; pourquoi me faire un crime des craintes qui m’assiègent quand je pense à Paris? Est-ce que je ne te suivrai pas partout? Si tu n’étais pas Urbain, est-ce que je t’aurais aimé comme je l’ai fait du premier jour que je t’ai vu? Est-ce que je ne suis pas fière de ton nom? Ces derniers mots fondirent la glace. Urbain lui rendit son baiser. — Eh bien! fie-toi donc à moi, dit-il; je veux que dans trois ans tout le monde en te voyant dise : c’est Mme Lefort, vous savez, la femme de ce compositeur qui a fait Sardanapale !

Une inspiration illumina soudain Madeleine. — Tu ne m’as pas comprise, dit-elle; qui songe à mettre obstacle à cette légitime ambition que tu as de te faire connaître? Tu me crois timide ou même indifférente; mais c’est au nom même de cette réputation qui fait mon orgueil que je te parle. Il faut que les portes te soient ouvertes toutes grandes dès ton arrivée à Paris et que chacun t’y fasse bon accueil. On dit qu’il y a un stage en toutes choses : fais ton stage à Blois. Achève Sardanapale, achève cette symphonie dont tu m’as joué un passage hier, et si la fin répond au commencement, je serai la première à te dire : Pars!

Urbain était dans les premiers enchantemens du mariage : sa femme était comme sa maîtresse, un baiser venait de sceller leur réconciliation. Il céda à cette voix tendre qui le flattait et semblait l’inviter par les plus délicates caresses à marcher plus glorieusement vers le but qu’il ambitionnait. Plein d’une ardeur plus vive, il se mit à l’œuvre le jour même et ne quitta presque pas sa chambre pendant tout un mois. Quelques promenades dans les beaux sites qui entourent la ville, quelques soirées passées avec le père Noël étaient ses seules distractions. Un sentiment inconnu paraissait l’animer. La candeur, l’esprit juste, la raison ferme et droite de Madeleine agissaient sur lui; imprégné de cette atmosphère de jeunesse et de pureté qui enveloppe une femme chaste et bonne, il ouvrait son cœur à une influence plus saine et avait de meilleures aspirations. Il pensait bien encore à cet avenir brillant dont il avait souvent caressé les perspectives, mais il le faisait plus tranquillement, avec une sorte de gravité et de mesure qui rassurait presque le père Noël. En même temps les conseils du vieil organiste étaient écoutés. Ce changement réjouissait l’âme tendre de Madeleine : elle y voyait comme le présage d’une vie heureuse et la récompense de son obstination. Comment aurait-il pu se faire qu’insensible aux appels de son cœur, Urbain n’écoutât pas la voix du dévouement et de l’amour? Son mariage, un peu assombri dans ses prémices, eut son printemps. Dans sa joie, elle embrassait le père Noël et lui reprochait de ne point partager sa confiance. Le père Noël hochait la