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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/149

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père Noël lui avait dites avant la courte réforme d’Urbain lui revenaient sans cesse à l’esprit. En outre, une crainte superstitieuse la tourmentait à la pensée de quitter la ville qui avait été la protectrice et comme la mère de l’orphelin. Avant de partir, elle voulut revoir la campagne où son amour avait commencé. Le père Noël, avait inventé un prétexte pour l’accompagner dans ce pèlerinage, dont, par un secret sentiment de pudeur, Madeleine n’avait pas voulu lui confier le véritable motif. Il le comprenait et devinait ce qui se passait en elle; mais il s’efforça de plaisanter pour ne pas exciter une émotion inutile. — Paris est comme un champ de bataille, dit-il; tu pars pour la guerre, mon enfant; rien là-bas ne te rappellera nos heureuses promenades. — Madeleine serra la main de son vieil ami. — N’ayez pas peur, dit-elle, j’aurai du courage.

Vers la tombée du jour, Madeleine quitta le vieil organiste, disant qu’elle voulait embrasser la petite fille du fermier, qu’elle avait vue à l’autre bout d’un pré. Le père Noël s’achemina vers l’église d’un pas tranquille. — Ah ! si j’avais rencontré une fille de ce cœur-là à vingt-cinq ans! murmura-t-il, et malgré lui sa pensée se reporta vers une jeunesse dont il ne parlait jamais. Quand Madeleine sortit de l’église, elle le trouva debout près de la porte. Elle rougit comme si elle venait de commettre une faute. — Qui vous a dit que j’étais là? dit-elle. Le père Noël haussa les épaules. — C’est ici que tu l’as connu, dit-il; tu étais triste, j’étais bien sûr de te retrouver ou l’on prie.


IV.

Urbain et Madeleine quittèrent Blois le lendemain. Au moment du départ, le père Noël, usant d’un reste d’influence, fit promettre à son élève de se loger chez une personne de sa connaissance qui demeurait du côté de la place Saint-Sulpice, et qui, moyennant une somme modique, loua au jeune ménage trois pièces meublées fort propres, où Urbain et Madeleine s’établirent provisoirement. Le père Noël estimait qu’avec cinq mille francs de rente et le travail d’Urbain, deux personnes pouvaient vivre honnêtement à Paris; mais il fallait éviter les occasions de dépenses où la vie des quartiers élégans et la fréquentation du monde vous entraînent. La première chose qui frappa les yeux de Madeleine fut un piano qui, tout ouvert dans un coin de la pièce principale, semblait attendre qu’une main amie en caressât les touches. C’était un dernier souvenir du père Noël. Urbain fut touché de cette attention. Encore ému de ses récens triomphes, il se mit à l’œuvre avec un courage auquel Madeleine applaudissait. Il travaillait le matin, et dans la journée il allait voir quelques personnes pour lesquelles le préfet, le maire, le receveur