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n’en dit rien à Paul. Elle se montra même plus gaie et affecta de paraître heureuse d’une résolution qui la poussait vers une ruine inévitable. Son amour pour Louison en devint plus ardent; on la surprenait quelquefois la couvrant de baisers avec une sorte de fièvre et d’emportement sauvage. C’était la seule chose entière qui lui restât.

Jusqu’alors Urbain avait vécu à moitié sur l’asphalte des boulevards; il y prit racine. Les prétextes ne manquaient pas; il fallait signer des engagemens, recruter des musiciens, composer un personnel nombreux. Madeleine ne tarda pas à reconnaître quelle fâcheuse influence les nouvelles relations d’Urbain exerçaient sur ses habitudes intimes. Les personnes qui l’avaient accueilli un peu par obligeance, un peu pour faire montre d’un compositeur jeune et bien tourné, qui les amusait à peu de frais et leur permettait de prendre en surcroît des airs de Mécène, l’abandonnèrent lestement aussitôt que le génie, en passe de se faire connaître, eut fait place à un imprésario de concerts en plein vent. Une certaine gêne commençait en même temps à se faire sentir dans le ménage. Madeleine n’osait pas interroger Urbain. Les recettes de sa triste entreprise étaient presque entièrement absorbées par les frais. La pensée lui vint de chercher des ressources pour parer aux embarras qui mettaient son ordre et son économie en défaut. Il fallait bien qu’elle s’ouvrît à quelqu’un. Elle songea à Paul; la franchise loyale qu’il avait montrée dans l’aveu de son repentir lui inspirait une grande confiance, qui contrastait avec la concentration habituelle de son caractère. Un soir donc que Paul était venu la voir, elle lui demanda timidement quel conseil il donnerait à une femme qui voudrait gagner quelque argent avec son travail. Madeleine eut grand soin d’ajouter qu’elle parlait au nom d’une amie qui ne voulait pas être connue, et qui savait faire de petits dessins et colorier. Le résultat de la conférence fut que Paul promit de recommander la personne dont le nom devait rester inconnu à un éditeur de livres illustrés. Comme il était sur le pas de la porte, Madeleine lui posa la main sur le bras doucement. — Il est inutile de parler de tout cela à Urbain, dit-elle avec un regard suppliant.

Quand il fut dans la rue, Paul se retourna pour voir la lumière qui brillait dans la chambre de Madeleine. — Et ce soir Urbain dînait au Café Anglais! dit-il à demi-voix, et il n’était pas seul!

Quelques semaines se passèrent. Un matin, Paul entra chez Madeleine à l’improviste. Elle tenait Louison dans ses bras, et la petite fille jouait avec quelques pièces d’or qui tintaient sur sa robe. — C’est bien à toi, disait la mère en l’embrassant; je les ai gagnées... garde-les !

Elle vit Paul et se leva toute rouge. — Eh bien! dit-elle, si vous