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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/189

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fut un chagrin vague, une sorte de remords confus. Quelque chose lui disait qu’il était la cause de cette catastrophe. Il entra dans un café pour se remettre. À ce moment de sa vie, Urbain avait descendu tous les degrés de la spirale profonde qui commence par la débauche et finit par l’avilissement. Les notions du bien et du mal commençaient à s’effacer de son esprit; il n’y avait plus en lui ni ressort ni vertu. L’heure de son service quotidien venue, il prenait l’archet et conduisait l’orchestre; mais la soirée achevée, la pensée du travail lui faisait horreur. Il ne voyait plus qu’une compagnie douteuse où se mêlaient des élémens divers et mauvais, et que jamais une idée généreuse ne réchauffait. Son élégance native avait presque disparu et ne brillait plus que par éclairs qui rendaient plus sombre encore son apparence délabrée. La flétrissure de son âme se lisait dans ses traits, empreints d’une pâleur malsaine. Assis devant une table sur laquelle un garçon avait posé un verre et un plateau, il laissa tomber sa tête entre ses mains. L’histoire de sa vie lui revint à la pensée, et il en vit confusément les divers incidens, comme on voit un paysage derrière les voiles flottans d’un brouillard. Un soupir gonfla sa poitrine et ses yeux devinrent humides. Madeleine avait toujours été bonne pour lui et l’avait bien aimé... Bergevin, avec lequel il s’était réconcilié, survint là-dessus, et le trouva dans cette attitude pensive. — Qu’y a-t-il donc? demanda-t-il.

— Il y a que ma femme est morte, répondit Urbain.

Bergevin serra la main du chef d’orchestre. Il y eut un moment de silence.

L’attendrissement n’était pas le propre de l’industriel; d’autres pensées le préoccupaient. Il avait ouï parler d’une certaine fortune que Madeleine possédait de son chef; peut-être en restait-il quelques débris. Il regarda Urbain attentivement pour voir s’il ne découvrirait pas dans ses yeux le reflet de ce qu’il éprouvait lui-même. — Il faut se faire une raison, dit-il.

— Oui, reprit Urbain.

— C’était une bonne femme, quoique un peu triste, poursuivit le directeur, et puis toujours malade...

— Toujours!

Cette pensée consola Urbain; évidemment, si Madeleine était morte, la faiblesse de sa constitution en était la vraie cause, et non pas sa conduite, à lui Urbain. Bergevin ne venait-il pas de le dire?

— Et puis, continua Bergevin, elle avait bien quelque chose?

— Je le crois, dit Urbain.

— Mon ami, il n’y a pas à hésiter, il faut aller à Blois; tout vous en fait un devoir.

— A Blois? répondit Urbain, qui tira la doublure de ses poches par un geste expressif.