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afin que les chanoines pussent assister au spectacle. » L’église alors touchait partout au théâtre.

Non-seulement les mystères étaient une fête religieuse, c’était de plus une sorte de charge et d’obligation communale qui, par un nouveau trait de rapprochement entre le théâtre grec et le théâtre ecclésiastique du moyen âge, ressemblait à la choragie antique. On sait qu’à Athènes on choisissait tour à tour dans chaque tribu le citoyen le plus riche pour faire les frais du costume des chœurs qui paraissaient dans la tragédie. C’était devenu peu à peu une grosse dépense qu’on fuyait de son mieux, au lieu de la chercher comme un honneur. « Vous êtes dans une grande illusion, dit le poète comique Antiphane dans une de ses comédies intitulée le Soldat, si vous croyez posséder quelque chose d’assuré dans la vie ; un impôt vous enlève toutes vos épargnes, ou bien un procès inopiné les dissipe ; nommé stratège, vous êtes abîmé de dettes ; chorége, il ne vous reste que des haillons pour avoir fourni au chœur des habits couverts d’or. » La représentation des mystères était aussi une lourde charge pour les gros bourgeois des villes. C’était même une charge personnelle. « Les acteurs, dans la bourgeoisie ou dans la noblesse, Rengageaient par corps et sur leurs biens à achever l’entreprise, c’est-à-dire à jouer jusqu’au bout. Ils étaient tenus aussi défaire serment et de s’obliger à jouer aux jours ordonnés par superintendans. Enfin ils étaient tenus de comparaître à sept heures du matin pour recorder (pour répéter) sous peine de 6 patars[1] d’amende. »

Ces détails que j’abrège montrent l’immense différence qu’il y a entre le théâtre du moyen âge et le théâtre de nos jours ; mais la plus grande différence, selon moi, est le rapport qui existait alors, et qui n’existe plus, entre le théâtre et le public. D’abord au moyen âge pas d’acteurs attitrés dont le métier est de représenter des pièces de théâtre. Au lieu d’une troupe de comédiens, des paroissiens, et parmi eux les meilleurs et les plus dévots, qui s’engagent à jouer le mystère, comme on s’engage à faire une neuvaine. Il en est de même dans la tragédie grecque, qui ne connaissait pas non plus dans les commencemens la profession des comédiens. Entre les spectateurs et la pièce, mille habitudes communes : non-seulement les mêmes idées et les mêmes sentimens, mais les mêmes actions, les mêmes prières, les mêmes cérémonies. La société alors vivait beaucoup dans l’église, et le théâtre reproduisait et doublait l’église pour ainsi dire. Le théâtre disait l’Ave, Maria, ou chantait le Te Deum laudamus : c’est le finale ordinaire de toutes les moralités ; le public disait Ave Maria avec le théâtre, et chantait le Te Deum. J’ai

  1. Monnaie de Valenciennes.