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classée ; j’ai reçu le sacrement d’initiation, et j’ai le droit de me faire lire les saintes écritures… » Les vaïcyas de nos jours ne sont pas moins fiers que ceux d’autrefois de montrer le cordon sacré, dont ils ont soin de faire flotter l’extrémité sur la hanche droite.

Vouée aux travaux de l’agriculture, aux arts manuels et au commerce, cette caste, inférieure dans l’ordre de la hiérarchie brahmanique, mais importante par le nombre devait occuper dans l’état une place considérable. En elle résidait l’esprit pratique de la nation hindoue. Par l’industrie, elle acquérait de grandes richesses ; par les voyages de terre et de mer, elle se mettait en communication avec les pays étrangers, et elle élargissait le cercle de ses connaissances. Il arriva une époque où presque tous les trônes de l’Inde, morcelée en petites provinces, lurent occupés par des vaïcyas ; mais cette époque se fit longtemps attendre. Dans les poèmes épiques, consacrés à chanter les hauts faits de la caste guerrière, et qui montrent les héros sous des traits divins, la caste des marchands et des agriculteurs n’a point de rôle encore. Quand les grands seigneurs se font la guerre, les petites gens sont mis en oubli. D’ailleurs le vaïcya, tout occupé de ses travaux journaliers, pouvait bien amasser des trésors, fonder des temples, doter des communautés de brahmanes : ses droits s’étendaient jusque-là ; mais il lui était défendu de discuter sur les choses de la religion, comme aussi de se mêler de l’interprétation des lois. Cette liberté d’examen, refusée également à la caste guerrière, le vaïcya ne songeait point à la réclamer ; Il se contentait de faire parade de sa fortune, d’honorer les dieux dans la personne des prêtres, et d’inscrire sur les murs des pagodes son nom plébéien. L’homme enrichi, dont l’orgueil trouve pleinement à se satisfaire, reconnaît volontiers que tout va bien dans ce monde ; il n’est point tourmenté du désir de détruire ou d’innover.

Cependant, comme l’ambition est plus difficile à satisfaire que la vanité, il arriva que les guerriers, poussés par la rage de s’agrandir toujours, en vinrent à s’attaquer les uns les autres ! L’amoindrissement de la caste royale eut pour effet de rendre plus puissante celle des brahmanes et d’élever d’un degré celle des vaïcyas. La nation indienne perdit, il est vrai, de sa grandeur, lorsque les vieilles familles royales, de plus en plus affaiblies, disparurent de là scène du monde. La haute poésie s’éteignit avec elles ; après les guerres terribles racontées par le Mahâbhârata, il règne dans l’Inde un morne silence : les poètes n’ont plus rien à chanter. C’est au milieu de luttes acharnées produites par des haines de famille que les Pândavas ont succombé[1]. De part et d’autre, les chefs engagés dans cette guerre

  1. Voyez sur les Pandâvas les livraisons du 15 avril et du 1er juin 1857 ; voyez aussi les autres parties de cette série dans la Revue du 1er mai, du 1er juillet 1856, du 1er janvier 1857, et du 1er janvier 1858.