Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où nous allions, qu’enfin il était certain que la petite m’avait distingué. Je ne trouvais rien à répondre, je découvrais tout à coup les mille liens imperceptibles dans lesquels on avait cru m’enlacer. Je brusquai l’affaire, honteux que j’étais de mon long aveuglement, et déclarai nettement à ma mère qu’il n’y fallait plus songer. Quelques larmes roulèrent dans ses yeux, la scène tournait à l’attendrissement, et, pour y mettre fin, je jugeai prudent de battre en retraite.

Je fus tout le reste du jour mécontent, préoccupé. Ma mauvaise humeur s’accrut encore de ce que nous devions dîner chez le nouveau président du tribunal : il me serait donc impossible d’aller le soir oublier auprès de Louise la singulière proposition de ma mère. J’étais loin de prévoir le surcroit d’ennui qui me menaçait. Je me rends chez le président, et j’y trouve… qui ? Tous les D… du monde. Il y avait M. D…, Mme D…, le fils D…, Mlle D… On passe dans la salle à manger. Notre gracieuse présidente, comme si elle était déjà au courant des projets de ma famille, me place tout juste à la gauche de Mlle D…, côté du cœur. Je ne soufflai mot pendant le premier service ; puis je réfléchis que ce silence paraîtrait peut-être plus éloquent que mes paroles, et je me mis à causer avec ma voisine, mais à causer…, on aurait dit que nous étions les meilleurs amis du monde. Mme D… triomphait. Je reconnus trop tard que j’étais tombé d’un excès dans un autre. Ces gens-là vont me croire amoureux de leur fille, et il me sera bientôt impossible de leur persuader le contraire.

Je t’ai écrit pour me remettre un peu l’esprit avant de me rendre chez Louise ; mais je suis encore plus contrarié et plus maussade en finissant cette lettre que je ne l’étais en la commençant.


18 mars.

La question du mariage n’était point vidée.

Quelques jours après le dîner dont je t’ai parlé, mon père me prit à part et me dit : « Je vois que tu nous gardes rancune de la proposition de ta mère. » Je me récriai aussitôt et protestai de toute ma force. « Il est certain, reprit-il, que cela te préoccupe, que tu te tiens sur la défensive et que tu t’attends à quelque nouvelle attaque. Tu as tort. Nous n’avions pensé à Mlle D… que parce que tu as toujours eu l’air de la préférer aux autres. Le fait est qu’elle nous convient aussi à tous égards. Si sa dot n’est pas considérable, elle a de bien des côtés des espérances qui valent des certitudes, et elle sera très riche un jour. Elle est jolie de plus, très jolie… Mais je retombe dans les considérations et les réflexions de ta mère. Voici ce que j’ai à te dire de nouveau : je me suis marié à mon goût, tu