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sistance de Louise me troublait. Lui serait-il arrivé quelque malheur ? Avait-elle besoin de moi ? Je lui répondis deux lignes. Je lui disais qu’elle savait bien à quoi je m’étais engagé envers mon père, que je n’étais pas libre de ma soirée, mais que, si elle voulait se rendre au pavillon vers cinq heures, je m’y trouverais, et que nous causerions jusqu’à six. À cinq heures, j’étais près d’elle. Je ne puis te dire le déluge de reproches dont elle m’accabla : j’étais un homme sans foi, mon père n’exigeait rien, c’était un prétexte pour me détacher d’elle, il y avait déjà longtemps qu’elle s’était aperçue de quelque chose ; je ne l’aimais plus, elle me haïssait, et mille autres folies semblables… La nouveauté de ce langage me bouleversa et m’empêcha de lui répondre. Je l’avais quittée raisonnable, je la retrouvais insensée. La première confusion passée, j’essayai de la calmer : tout fut vain. « Ah ! m’écriai-je enfin, je reconnais l’œuvre de ta mère. Il n’y a qu’elle qui puisse t’inspirer contre moi des soupçons aussi ridicules. » Elle m’imposa silence, me défendit d’insulter sa mère, qui valait mieux que moi, parce qu’elle était sincère ! Je fus pris en ce moment d’un soudain transport de fureur, et, sans prononcer un seul mot, je me précipitai vers la porte. Elle s’élança, s’attacha à moi et éclata en sanglots. Je ne trouvais plus une parole, j’étais muet, et elle pleurait toujours, entremêlant ses larmes de cris et de soupirs. Nous restâmes ainsi près d’une demi-heure. Enfin je fis un effort, et d’une voix tremblante et ferme en même temps : « Louise, lui dis-je, nous nous expliquerons demain ; je ne le puis maintenant. » Elle retint tout à coup ses larmes et me dit : « Préparez vos réponses. J’ai bien des questions à vous faire. » Je ne répliquai rien, et nous nous quittâmes. Il était l’heure du dîner. Je courus chez moi, et, chose bizarre, dès que je fus à table, je retrouvai toute ma présence d’esprit, et causai presque gaiement et avec un entrain inaccoutumé qui ravit mon père. Ma mère remarqua seulement que j’avais la figure enflammée. Heureuse contrainte qui m’arrachait un moment à moi-même ! Dès que je fus seul dans ma chambre, la pensée de Louise m’envahit tout entier. Je souffris tout ce qu’il est possible de souffrir quand à une certitude cruelle se joint une incertitude mille fois plus cruelle encore. Que lui avais-je fait ? Comment expliquer ce changement extraordinaire ? Qu’avait-elle à me reprocher ? Hélas ! dix jours se sont écoulés depuis cette première scène, et je cherche encore inutilement quel est mon crime ; par instans je me demande si nous ne sommes pas fous tous les deux. Je passe chaque nuit des heures entières à réfléchir, à creuser ce problème, à me poser cette question terrible : Louise n’est-elle pas l’ange que j’avais entrevu ? Était-ce mon amour qui lui prêtait cette douceur céleste, cette raison charmante ? Je t’en prie, écris-moi que ton ad-