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rinthe où elle se plaît à m’égarer. Il n’y a point d’issue. Auparavant nous nous entendions à demi-mot : un regard, un sourire, un geste, me suffisait. Je ne la comprends plus maintenant, et j’ai renoncé à la comprendre, car il faudrait aborder le premier cet affreux sujet, et attiser ainsi moi-même le feu qui me consume. Ah ! que tout ce que j’avais éprouvé jusqu’ici était chétif et misérable ! On ne connaît vraiment l’amour que lorsqu’on a subi toutes ces tortures. Je travaille cependant, je bois, je mange comme si de rien n’était. On ne s’imaginerait pas, à en juger par l’extérieur, que tout n’est en dedans que désolation et que trouble. Je plaisante même encore quelquefois. Hier Mme D… et sa fille sont venues passer la soirée avec ma mère. J’ai causé chiffons avec la jeune personne. Seulement je tressaillais toutes les fois qu’on l’appelait Louise. Louise ! comment ce nom appartient-il à une autre ? Te le dirai-je, Léon ? et ne va pas te récrier sur la perversité de notre cœur, ne va pas me faire rougir d’un tel aveu,… ces colères sans objet, ces reproches sans motif, ces menaces sans but, toutes ces scènes folles et violentes ont donné à ma passion une intensité nouvelle. J’attends la rage et les pleurs avec plus d’impatience que je n’attendais auparavant les douces paroles et les douces joies. Si tu savais comme en ces momens-là ses caresses sont brûlantes, comme elle répare ses torts, comme ses baisers essuient mes larmes ! Il n’importe, ce sont des plaisirs qui troublent, qui dessèchent, qui corrompent. Je ne veux plus de ces ivresses monstrueuses qui ne sont faites que pour les cœurs blasés. Je redemande ma Louise, ma Louise des premiers jours. Cette vierge folle n’est pas ma Louise… Ah ! qu’ai-je dit ? Je ne me pardonne pas de t’avoir traduit ces émotions honteuses ; mais j’ai voulu ne te rien cacher. Tu es de sang-froid, tu découvriras peut-être la cause qui m’échappe, tu me donneras peut-être le mot de cette cruelle énigme. J’attends une lettre de toi, comme un homme qui traverse un désert de feu attend la source qui doit le désaltérer.


3 décembre.

J’ai enfin découvert la cause de la démence de Louise : je n’y devrais voir encore qu’une preuve de son amour ; mais le coup est porté, elle est descendue de cet autel au pied duquel j’étais prosterné en adoration. Elle n’est plus à présent pour moi qu’une femme qui m’aime follement, et dont j’ai pitié.

Le bruit de mon mariage avec Mlle D…, qui court la ville depuis deux mois, est parvenu à l’oreille de la mère Morin. Celle-ci n’a pas manqué d’en informer Louise et de lui donner les instructions qu’elle a jugées nécessaires. Louise, livrée à elle-même, m’aurait demandé une explication franche et loyale ; je me serais justifié, et