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pouvons supporter la pensée de lui infliger la punition sévère qu’il mérite. Par notre faveur spéciale, qu’il soit seulement privé de son rang, et qu’il ne soit jamais recommandé pour être employé !

« L’incompétence de Ki-yng est extrême, mais, à cause des difficultés de sa position, que lui aussi soit traité avec la plus grande indulgence, qu’il soit dégradé jusqu’au cinquième rang, et qu’il devienne yeu-wai-long, sous-aide-secrétaire de l’un des six bureaux !

« La conduite intéressée de ces deux hommes et leur oubli de leur souverain sont des choses patentes pour tout l’empire. — Ne faisant rien en excès, nous ne les avons pas condamnés à une punition extrême ; nous avons agi après mûre délibération. — Nous y avons longtemps réfléchi, et, comme nos serviteurs peuvent le penser, nous sommes affligé d’être forcé d’agir ainsi.

« Désormais tout officier, élevé ou non, civil ou militaire, employé dans la capitale ou ailleurs, devra montrer qu’il agit en vertu des bons principes et qu’il sert loyalement l’état, afin que la ruine qui allait grandissant par la faiblesse et la négligence puisse être arrêtée. — Que personne ne s’effraie des difficultés ou ne s’abandonne à la faiblesse. Et si quelqu’un a le pouvoir de développer de grands principes qui soient importans pour la politique de l’empire ou le bien-être des populations, qu’il le fasse sans crainte et sans réserve ! — Que nul ne se laisse influencer, soit par attachement, à son protecteur, soit par d’autres sentimens, mais que tous s’appliquent, comme c’est mon espérance, à remplir leurs devoirs ! — Que ceci soit publié et dans la ville et au dehors, afin que chacun sache notre volonté ! — Décret spécial du 18e jour de la 10e lune de la 30e année de Tao-kwang (21 novembre 1850). — Respectez ceci. »


Ce document, qui n’a été rendu public que depuis peu de temps, montre jusqu’à l’évidence que le gouvernement impérial secondait et favorisait de tout son pouvoir les passions et les haines des populations du Kwang-tong contre les Européens ; mais pouvait-il en être autrement ?

La constitution politique de la Chine, immuable à travers toutes les révolutions qui remplissent ses annales, repose, depuis Ching-tang, fondateur de la dynastie des Tchang, c’est-à-dire, depuis quarante siècles, sur ce principe : l’empereur est choisi par le ciel pour être son représentant sur la terre, pour gouverner sans conteste, sans limite et sans restriction, tous les peuples du monde. Aussi tous ces peuples ne sont-ils pour les Chinois que des barbares du dehors, et lorsque, comme les Anglais, ils ont envoyé des ambassadeurs à Pékin, cette démarche les constitue vassaux de l’empire du milieu[1]. Dès lors, la guerre de 1840 n’est plus qu’une de

  1. Cet état de vasselage n’implique nullement une action politique de la cour impériale sur les affaires du pays vassal. Dans leurs écrits, Confucius et Mencius s’appliquent à montrer que, pour un roi, le plus sûr moyen de faire des conquêtes est un bon gouvernement des peuples qui lui sont confiés. « Les nations qui verront votre sagesse se rangeront en foule sous votre administration, » disent-ils. Les ambassades et les hommages des peuples vassaux ne sont qu’une consécration de cette maxime, que les Chinois appliquent à leur gouvernement.